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Pascal Comelade
J'ai interviewé Pascal Comelade pour le magazine Trois Couleurs, p.115 du PDF en ligne ici :
http://issuu.com/troiscouleurs/docs/117_web
Il me restait quelques pages non publiées, que je mets en ligne ici
"Je n’innove en rien. Moi, personnellement, j’ai
essayé de trouver ma propre façon de m’exprimer, ma musique, mon langage. Il y
a des gens qui te diront que je fais toujours le même disque. Comme les Cramps.
J’ai mes obsessions. C’est déjà très compliqué de construire tout ça. Le
discours sur l’innovation, l’invention, est un truc du vingtième siècle,
l’histoire des avant-gardes. Il faudrait relire les écrits de Varèse sur cette
question. C’est le compositeur de musique contemporaine sans doute le plus
important du 20ème siècle. Je l’ai lu il y a mille ans. Tu passes de
Bach à Stravinsky, puis de Stravinsky à Varèse. Et puis après John Cage. Je me
sens beaucoup plus d’accointances avec Cage qu’avec Varèse, parce qu’il fait
référence à Jarry, à Duchamp et parce qu’il a de l’humour. Je ne m’en cache
pas : le fait que j’aie commencé à utiliser des pianos-jouets, c’est
évidemment grâce à John Cage, ce n’est pas gratuit. C’est quand j’ai écouté son
disque contenant les pièces pour toy-pianos que j’ai décidé d’utiliser cette
saloperie. Le mal était fait. J’en ai mis un en 1978 sur un morceau electro,
avec des saxs en plastique ralenties. Après j’ai porté ma croix pendant des
années.
Est-ce qu’il faut aussi voir dans l’utilisation des
toy-pianos, un rapport à l’enfance ?
Non absolument pas. J’ai horreur de l’enfance, j’ai horreur
des enfants, ça ne m’intéresse pas. J’ai eu deux situations dans ma vie où on
m’a demandé de jouer pour un public d’enfants. Les pauvres, ils partaient en
hurlant au bout de deux minutes. Parce qu’il y a quand même des seuils de
tolérance, et les productions sonores d’instruments-jouets, c’est très
énervant. Les gens croient que parce que tu utilises des pianos-jouets, des
grelots, des vibraphones, ça va plaire aux enfants… mais pas du tout, ils s’en
tapent le coquillard, les gamins. Moi j’ai d’abord utilisé ces instruments pour
leur grain sonore, parce qu’il n’y en a pas deux pareils. Mais en aucun cas par
nostalgie ou je ne sais quel rapport à l’enfance…
Et l’art brut ?
Le terme d’art brut a été un peu galvaudé ces dernières
années. Pour moi, l’art brut, c’est très précis. Ce sont des internés, des
psychiatrisables, des solitaires, fin 19e début 20e. Des
gens comme Dubuffet en parlent, les collectionnent, les vendent, les mettent
dans des musées. Après ça, des artistes se sont mis à « faire de l’art
brut », à se produire dans des galeries. Aïe aïe aïe. Ce qui m’intéressait
chez ces gens là, c’était le rapport à la représentation : à aucun moment
ils ne se considéraient comme des artistes, ils n’exposaient pas. De là à
théoriser comme l’a fait Dubuffet, ça ne m’intéresse pas. Le fait d’avoir mis
Gaston Chaissac dans l’art brut, c’est inadmissible, ça n’a rien à voir avec
l’art brut. Chaissac, c’est un type qui est du niveau de Miro. Mais tout ça est
très compliqué. Certains créateurs de l’art brut m’ont beaucoup influencé. Moi
je suis totalement inculte, je ne sais ni lire ni écrire la musique. Je vais te
montrer mes partitions, tu vas voir l’ampleur des dégâts : j’écris le nom
des notes sur une feuille, et voilà. Le seul rapport que j’ai avec l’art brut,
c’est ce côté analphabète, mais ça ne va pas plus loin : je vais sur
scène, je sors des disques…
Il y a un groupe américain qui a aussi beaucoup travaillé
sur la culture populaire, le détournement, la démarcation, c’est les Residents.
Pour moi les Residents sont le groupe le plus
important de la fin des années 70, début des années 80. Mais qu’est-ce que ça a
généré ? On se retrouve dans la même situation que dans les années
60 : avec une musique de variété de merde qui domine tout. C’est ce qui me
gêne. Les Residents, leurs petits clips, leurs films, les concepts, leurs
reprises, leurs hommages… ça n’a rien changé. Je doute que les gens qui usent
et abusent du sampling aient autant d’humour que les Residents. Je vois plus
aujourd’hui dans le milieu musical « sérieux » d’artistes snobs que
des postures comme celles des Residents. Où même un type comme Brian Eno
devient un type sympathique. Il y a eu une frénésie d’informations pendant
vingt ans, qui a mené aux Residents, à Suicide, à la fin du punk, qui
fourmillait d’inventions, d’idées. On croyait s’être débarrassé de la sclérose
pénible, et puis, à une vitesse grand V, tout est redevenu comme avant, tout
s’est remis à stagner, depuis les années 80, depuis quarante ans. On continue à
parler d’underground, de marges, de musique nouvelle, alors qu’on ne devrait
pas. Ca a démarré avec Zappa, qui n’était pas sur un label indépendant. On
croyait en avoir fini avec les vieilles plaisanteries des marges, des
avant-gardes. Pour moi les modes dominantes d’aujourd’hui sont les mêmes que
dans les années 60 et empêchent les autres de respirer, et c’est même pire
qu’avant. Il y avait quand même des concerts de Soft Machine à la télévision,
le pop club de José Arthur, avec des concerts entiers de Can, qui n’étaient pas
présentés comme des choses underground. Aujourd’hui, la TV est gérée par des
gens plus jeunes que moi qui ne passent que de la musique de merde, du rap et
de la chanson française."
Mâche chant d'elle
« Tu me raconteras ou tu as appris la langue des
oiseaux ? », m’écrit-elle (Barbar Ella, sur mon mur). Elle la parle
déjà, elle qui enlève son accent au « Où » de la chouette, ou du
hibou (ou devrais-je écrire choùette, ou hiboù ?). Ou où, lui réponds-je,
éponge, ça se passe de bouche à oreilles (et je passe l’éponge). Dois-je la lui
raconter, ou ai-je appris la langue des oiseaux ? Telles sont les deux
questions. A la première, je ne réponds pas que oui, ça se (la) raconte, à la
deuxième, je ne réponds pas non plus vraiment (vrai ment, je n’ai pas appris la
langue des oiseaux), sinon que je sais que ça (l’inconscient aussi) passe de
bouche à oreilles, les paroles s’envolent, les écrits restent. Ou est-ce le
contraire ? Les paroles restent (éternelles), les écrits s’envolent
(poussières). En tous cas, c’est du son pas de l’écrit (pas des cris), ça flotte (comme de la flotte) dans l’air, ça coule, d’ici à là, de
haut en bas, et vice-versa (verseau). C’est sensuel, c’est le sens de la
bouche, le goût : on mâche (mâche chant d’elle, ma chandelle) ses mots, on
mastique (mastic, explosif), on arrache avec les incisives (incisif), on incise
(dit secte), coupe, coud (Frankenstein le dandy), copie colle aux dents les
mots, mâchouille (aille la carie), mais sans avaler, tout ça pour les recracher
autres, bouillie pour oisillon, liquide. Les mots de la langue des oiseaux sont
eau. La parole, ma parole.
Il y a donc deux questions, inclusives ou exclusives : « Tu
me raconteras ? » ou « Tu as appris la langue des oiseaux ? ». A
la première, je ne peux répondre, car je ne la connais pas assez (Barbar Ella),
pour la lui raconter. Je choisis donc de répondre à la deuxième, formulée
définitivement à l’infinitif avec un embarrassant point d’interrogation. Cet
infinitif y répond déjà. J’ai appris la langue des oiseaux. Le point pose la
question, doute ? Je ne l’ai pas apprise (personne ne me l’a dite), ou n’aurai
jamais fini de l’apprendre (à prendre), mais je l’entends parfois (en auto, en
autodidacte). Parfois, en cessant d’écouter, j’entends les vagues de la parole.
La parole est eau, source, rivière, fleuve, océan, et je l’entends parfois dans
les souterrains couler. Par foi. Je n’en capte pas le sens, la
signification, mais le sens, la direction. C’est du flux, ce sont des ondes.
Je m’arrête là. Il faudra prendre rendez-vous.
Quand à bientôt (que j’avais oublié), c’est bien tôt.
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