Born Bad
réédite les lost tapes
d’El’Blaszczyk, OVNI rock’n’roll des années 1990. Yéyés et GRM, Harley-Davidson
en mode pétrolette, James Bond in the garage.
-
« Dis
chéri c’est chouette ce que tu joues, c’est quoi ? Du rock’n’roll ?
-
Oh
tais-toi, tu vas te prendre une torgnole, alors tais-toi ! Tapfex !
-
Dis chéri,
t’aurais pas vu mon peigne, hein, mon peigne ?
-
Oh
tais-toi, tu vas te prendre une beigne, alors tais-toi ! Tapfex !»
Sur un air de rock’n’roll minimal, ce frappant dialogue
entre le chanteur El’Blaszczyk et une ingénue jeune fille effarouchera sans
doute les associations féministes, ou ravira les « masculinistes »
militant pour la restauration de l’autorité maritale (genre SOS Papa). A moins
qu’il ne séduise les simples amateurs de fessées érotiques… D’aucun y verront
matière à scandale en apprenant aussi l’âge (seize ans !) de la jeune
interprète, surnommée Dona Bella par son grand-frère, El’Blaszczyk, ici donc
maitre chanteur et docteur ès mandales, baffes, beignes et gifles.
Mais, too bad,
personne ne pourra lui intenter procès : il y a prescription. Cette
chanson, fausse publicité pour un appareil permettant de « donner des beignes sans se faire mal aux
mains » (le fameux « Tapfex »), a été enregistrée à la fin
des années 1990, dans le garage, vraisemblablement, du bricolo-rockeur, avec sa
petite sœur donc, qui ne semble pas tellement traumatisée par ces expériences
vocales, à en croire les notes du pochette de l’album qui sort ces jours-ci
chez Born Bad : « J’ai toujours
eu l’habitude des perpétuelles mises en scène de mon frère. Ameublement des
pièces de la maison chamboulée pour une séquence de Super 8, un décor, des
déguisements, des accessoires pour une séance de photos… la routine !
Actrice, script, cobaye, modèle, doublure lumière… alors pourquoi pas
chanteuse ? Magnétos, micros, paroles fraichement tapées, le casque près
du pupitre : il avait tout préparé pendant la journée et à peine rentrée
du collège, il fallait m’organiser pour caser une prise de voix entre le goûter
et mes devoirs, pas le temps de souffler ! »
Cette petite entreprise familiale, d’où est sorti cet
improbable mélange de publicité rétro (Flytox ?) et de jerk yéyé (la voix prépubère
et gouailleuse évoquant une languissante Brigitte Bardot, ou son ironique
imitatrice Monique Thubert) est née dans un « maquis » indéterminé
(pas d’info sur l’origine géographique d’ El’Blaszczyk), quand le politiquement
(in)correct n’incitait pas encore vraiment à la prudence ou à
l’autocensure, et permettait certaines licences et libertés, d’autant plus à
tirages très limités en 45Trs. Rejeton minimaliste de Jean Yanne (période
« J’aime pas le rock »), les Charlots (ou les Problèmes, quand ils
accompagnaient le chanteur Antoine), Henri Salvador, Nino Ferrer ou Jacques
Dutronc, El’Blaszczyk manie aussi
l’ironie et l’iconoclastie qu’on trouvait chez Hara-Kiri (pour les inventions
phallocrates du prof Choron) ou dans le Canal + des années 1990 (« Groland »
pour le côté rock des campagnes, ou « l’Œil du Cyclone », pour l’art
du montage et du détournement) avec tendresse et gueules de bois.
En témoignent sa « Coktailo-thérapie »
(Gin-Synthol ou Vodka Petrol-Hahn, ceci pour la gueule de bois) ou sa chanson
« Quand tu me caresses » (pour la tendresse), enregistrée cette fois
avec Sophia Bellinna, voisine du quartier et camarade de jeu de Dona Bella, et
âgée, elle, d’à peine douze ans (!!) au moment des faits : « Quand tu me caresses la glotte, v’la-t-i-pas
que j’ai la tremblote / Quand tu me caresses les orteils, chéri, je
m’émerveille / Quand tu me caresses les vertèbres, je pousse des grand cris de
zèbre. ». Enregistré sur 4 pistes avec une sorte de Farfisa de
brocante, une guitare empruntée, et des chambres d’échos poussant les fréquences
médium dans le rouge, les chansons-énumérations lancinantes et rimées
(richement ou pauvrement) d’ El’Blaszczyk naviguent entre art brut électrique
et terrorisme minimaliste (less iz really more), le tout avec un talent certain
pour le montage sonore et les fréquences qui énervent (El’Blaszczyk a étudié un temps dans une classe de création
électroacoustique au Conservatoire National de Bordeaux).
Souvent dialoguées façon Gainsbourg (avec ses choristes, ou
avec lui-même en ses différentes incarnations), ces saynètes aux références
cinématographiques (« James Bond Girls », des petits airs de Michel
Audiard), éthyliques (« Cocktailo-Thérapie », donc), souvent médicales
(« Piquouze Jerk », « Tentative disco-thérapeuthique »,
« Hully Gully Neurasthénique », « J’ai pas d’santé »,
librement et ostentatoirement inspiré par « Je ne suis pas bien
portant » de Gaston Ouvrard - « J’ai
la rate qui se dilate, etc. »), où les médecins soignent généralement
le mal par le mal (curare, venin, arsenic), enfin simplement musicales (le
« Something else » d’Eddy Cochran, repris par Johnny Halliday en
« Elle est terrible », devenu ici « Elle est horrible »…),
ces « quircky lost tapes » enregistrées entre 1993 et 1995 sont
présentées par le patron de Born Bad lui-même comme une sorte de graal pour son
label : « Je jubilais à chaque
écoute et je me suis tout de suite dit que si j’avais fait de la musique c’est
exactement ce que j’aurais aimé arriver à faire : une musique bricolée,
ludique, et désinvolte, une musique qui ne se prendrait pas au sérieux sous
prétexte d’être différente ».
En effet, difficile de ne pas être franchement amusé par ces
scènes de films ou de ménages jouées en famille façon « Strip-tease »
dans le garage et en Super 8, avec jeux de mots à gogo, accent de vieux titi
parigot, et humour au dixième degré, aussi salace que frondeur, aussi
obsessionnel que moqueur. Peu entendue sur les ondes dans les années 1990, on
espère que cette réédition donnera l’occasion à la voix d El’Blaszczyk de
s’élever enfin dans les foyers français, comme d’un vieux poste TSF crachotant,
ou d’un de ces énormes talkie-walkie des années 1980, qui inspira la chanson
introductive :
-
« Quand
je vois une belle fille, je prends mon Taqui Oualqui
-
Et il me
dit chérie, toi aussi prends ton Taqui
Oualqui
-
Et
alors je déplie, je déplie mon antenne
-
Et alors
on se dit, on se dit je t’aime » (« Taqui
Oualqui »).
Peut-être avec ce clip de « Quand tu me caresses »,
slow de l’hiver 1994, avec incrustations numériques d’époque (!?) et
clonage du one-man-band himself, aux
divers instruments. Après tout, le son d’un téléphone ou d’un ordinateur
portable n’a rien à envier aujourd’hui à celui de nos radios d’hier…
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