lundi
mardi
Je préférerais ne pas.
"En face du monde, l’indifférent n’est ni ignorant ni hostile. Ton propos n’est pas de redécouvrir les saines joies de l’analphabétisme, mais lisant, de n’accorder aucun privilège à tes lectures. Ton propos n’est pas d’aller tout nu, mais d’être vécu sans que cela implique nécessairement recherche ou abandon. Ton propos n’est pas de te laisser mourir de faim, mais seulement de te nourrir. Manger, dormir, marcher, t’habiller : que ce soient simplement des actions, des gestes, des évidences, mais pas des preuves, pas des monnaies d’échanges. Ton habillement, ta nourriture, tes lectures, ne parleront plus à ta place. Tu ne leur confieras pas l’épuisante, l’impossible tâche de te représenter."
vendredi
Magic Fly
Sous
l’égide des grands auteurs de science fiction, l’anglais Mickey Moonlight mixe
passé rêvé (l’exotica et la library music de Les Baxter, Martin Denny ou Roger
Roger) et visions du futur (space-disco, kosmische-musik, Sun Ra). Geeky
interview (Mix d’une chronique
écrite pour 3 Couleurs #98 et d’une interview jamais parue pour Balise.)
« Tu les as
reconnus ? Tu aimes la science fiction ? Oh, tu es cool alors. Tu es
un geek ! », Mike Silver lève les deux
pouces et me fait un large sourire complice lorsque j’énumère les six écrivains
de science fiction qui ornent la pochette de son premier album : J. G.
Ballard, Alfred Bester, Philip K. Dick, Robert Anton Wilson, Doris Lessing,
Kurt Vonnegut... Sous l’égide de ces auteurs, l’anglais a mixé un rêve de passé
(l’exotica et de Les Baxter, Martin Denny, Eden Ahbez) et les visions du futur
de la pop music (space disco, kosmische musik, afrofuturisme), sur un premier
album au titre évocateur : The Time
Axis Manipulation Corporation. Manipulant les époques et leurs musiques,
Mickey Moonlight explore ainsi les transformations technologiques et éthiques
(colonisation de l’espace, euthanasie volontaire, décodage de l’ADN) comme
autant de fictions réalisées, suivant « la contrainte que s’était fixé Syd Mean, le décorateur de Blade
Runner : créer une esthétique qui se
réfère aux quarante dernières années et aux quarante prochaines, telles qu’on
peut les imaginer. J’ai utilisé des synthétiseurs analogiques, mais aussi des
sonorités modernes, pour créer une musique futuriste, si possible, mais
contenant des éléments du passé, comme l’exotica.».
Autofiction
Autant marqué par le discordianisme des années 50 (religion-canular
fondée sur le chaos) que par les personnalités les plus singulières de la
musique populaire (« Sun Ra, qui a
développé une imagerie complètement unique, idiosyncrasique ; Klaus Nomi,
même si ça ne s’entend pas trop sur l’album ; David Bowie... »),
Mike s’est fictionné en Mickey Moonlight (« Ma mère m’appelait Mickey quand j’étais petit.»), Dj geek qui lit
Dick d’une main et mixe de l’autre la cosmic disco d’Arpadys ou de Space (son Buckaroo Banzai est un hommage à leur Magic Fly), Kraftwerk et Joao Gilberto (sur le très
tropical Pelu Tolo), dérivant psyché-funk spatial, ralenti et vocodé sur Come On Humans , ou très cosmique reprise d’Interplanetary Music de Sun Ra. Pétri de
guests de talents (Zongamin, des membres de Bonde De Role, New
Young Pony Club, The CocknBullKid, ou George Lewis Jr, alias Twin Shadow,
posant sa voix soulful sur un Close to Everything très early house), cet album postmoderne pour le
living-room détonne parmi les turbines
du label d’accueil Ed Banger, mais ravit les sens et fait un beau voyage. Bon
trip
Tu
décris ta musique comme de la « science fiction exotica ». N’est-ce
pas paradoxal ? La science fiction parle du futur, tandis que l’exotica
est une musique du passé, non ?
Non, l’exotica est une musique de
fiction, créée par Hollywood dans les années 1950, avec de grands albums sur
les anciens aztèques, les égyptiens, ou des pays exotiques, mais ré-imaginés
par Hollywood. The Time Axis
Manipulation Corporation est un album de
science fiction, qui parle de la colonisation de l’espace, ou de la Terre dans
le futur, des amants artificiels, de l’euthanasie volontaire, de la
biotechnologie, mais avec ces références cinématographiques, comme des
fragments d’images. Ces musiciens des 50’s, comme Les Baxter, qui est mon
préféré, ne sont jamais allés à Hawaï ou en Afrique, leurs
recréations sont fictives, en aucune manière authentiques.
Tu
as mis six écrivains de science fiction sur la pochette de ton album : J. G. Ballard, Alfred Bester, Philip K.
Dick, Robert Anton Wilson, Doris Lessing, Kurt Vonnegut. Te considères-tu comme
un créateur de fictions ?
Tu les as reconnus ? Tu aimes la science fiction ?
Oh tu es cool alors. Tu es un geek (rires).
J’ai toujours lu de la science-fiction, surtout au moment de composer cet
album. Je pense chaque chanson comme des scènes, des épisodes, des fragments
d’un continuum. Il n’y a pas de narration globale dans l’album, mais des
moments narratifs. La pochette a été une collaboration avec le graphiste
Fergadelic (Fergus Purcell). Je lui ai donné une short-list
de mes auteurs préférés, qui m’ont influencés plus que n’importe quel musicien.
Je voulais ces auteurs, je voulais l’échiquier, Fergus voulait les pierres de
Stonehenge. Et je crois que les vêtements correspondent bien à chaque auteur.
Wilson est en grec, Vonnegut est en africain, Dick est plutôt habillé en
magicien…
Est-ce que cette idée
de « manipulation de l’axe temporel » (« Time Axis
Manipulation Corporation ») reflète tes choix esthétiques, entre passé et
futur ?
La science fiction parle toujours du présent. Elle prédit tous les futurs possibles, du pire au
meilleur, mais beaucoup d’idées venues de la science fiction se sont
concrétisées dans notre vie de tous les jours : l’extension de la vie, le
décodage de l’ADN, ou l’euthanasie volontaire... Musicalement, j’ai appliqué en
quelque sorte la contrainte que s’était fixé Syd Mean, le décorateur de Blade Runner : créer une esthétique
qui se réfère aux quarante dernières années et aux quarante prochaines, telles
qu’on peut les imaginer. J’ai utilisé des synthétiseurs analogiques, mais aussi
des sonorités modernes, pour créer une musique futuriste, si c’est possible,
mais contenant des éléments du passé, comme l’Exotica. C’est un album à écouter
dans son salon, comme on regarderait un film, même si j’adore par ailleurs
faire des remixes [pour Justice, Connan
Mockasin, Franz Ferdinand, Jack Peñate, Tame Impala, Munk – NDR] ou le Dj
en club.
Mickey Moonlight - And the Time Axis Manipulation Corporation (Ed Banger)
mercredi
Lumineux
Après la récente
réédition de ses œuvres, le grand A de la chanson française, chantée autrement
depuis la césure La Fossette en 1991,
fait encore peau neuve, avec Vers les
lueurs, album à la fois électrique et aérien, évident et éclatant. (3 Couleurs #100/Avril 2012)
Je me souviens de Dominique A disant un jour : « Je ne porte que du noir, car, ne sachant
quelle couleur choisir, je préfère n’en porter aucune. ». Belle surprise
donc, de l’entendre les réunir toutes (les couleurs) dans la blanche clarté de
ce nouvel album, et de le voir, portant beau le bleu électrique, le visage
glabre et frais, les mains mouvantes harmonieusement pour expliquer ces
nouvelles épiphanies musicales, apaisé : « La
lumière est toujours en rapport avec l’obscurité. Elle existe d’autant plus que
tout autour, c’est sinistré. Vers les lueurs parle de ça. ». Mariant remuée électricité et trouées acoustiques (un quintette à vent
ouvrant les vannes interprétatives), ce neuvième album est plus clair qu’obscur,
une vraie percée. «Quand les vents sont
arrivés après dix jours de répétitions, que les arrangements acoustiques et électriques
se sont vraiment assemblés, le résultat dépassait toutes mes espérances. J’étais
gonflé à bloc, je clamais sur tous les toits que j’allais faire un disque
exceptionnel. »
De fait, Vers les
lueurs, l’est, exceptionnel. Autant comme l’acmé d’une discographie qui a
souvent louvoyé entre dureté (Remué)
et vulnérabilité (Auguri), que dans
l’engagement, la confiance qui irradient une interprétation aussi tenue que les
mots sont chargés : «Quand on n’est
pas dans un rapport de confiance, le doute passe par la voix. C’est le problème
de Tout sera comme avant, qui avait
une ambition similaire. Au-delà des arrangements, il n’était pas tenu par son
interprète. La voix est le filtre de tout, elle transmet tout. ». Ici le
chant projette et éclaire «des moments
spirituels, ou des moments d’abandon, de joie, des moments simples où les
choses font sens, des moments qui justifient l’existence, avant d’arriver à « la
rue que rien n’éclaire. ».». De microfictions intimistes (Vers le bleu) en vastes chansons
d’époques (La possession, Le convoi), Dominique A chante
le désenchantement sur Rendez-nous la
lumière, « une chanson d’exaspération un peu pompière » assumée sans faux
semblant, ou la fuite dans les bois de Contre
un arbre, claire-obscure : « Je
ne parle pas d’un retour à la nature où l’on se débarrasserait de ses
problèmes. La nature peut être un réceptacle à angoisses autant qu’un espace de
ressources. La chanson Close West
exprime aussi cette impression de familiarité avec un lieu, et en même temps
d’étrangeté, d’inquiétude. » La
franche lumière mariée à l’inquiétante étrangeté, c’est le yin et le yang d’un
album quasi parfait, par un auteur accompli.
Dominique A - Vers les lueurs (Cinq7/Wagram)
Article paru (légèrement édité) dans 3 Couleurs #100, dispo en PDF ici : http://www.mk2.com/trois-couleurs
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