Le flâneur parisien
du XIXème siècle promenait spleen et idéal dans les passages parisiens.
Baudelaire a été un tel flâneur poétisant la ville de son regard, guettant
chocs et épiphanies. Walter Benjamin l’a raconté et théorisé. Ils sont toujours
modernes. Promenons-nous avec eux.
mardi
mercredi
Panda Bear meets The Grim Reaper
There’s
a big break in the album between “Come to your senses” and “Tropic of
cancer” (my favorite on this album). Is the middle of the album also the
moment of the meeting with
“the grim reaper”? The both sides are quite different (one very
urban-tensed, frenetic, the other more contemplative, like in a dark
water). You conceptualized these two parts?
Noah Lennox : The
middle of the album is definitely meant as the crux and the
transitional point. I was hoping that "Tropic of Cancer" and "Lonely
Wanderer" would represent the area in between
the old identity and the new one. As far as i’ve seen, it’s a cold and
barren place. The conceptualization came after the fact. Once we had
finished all the songs it was easier to try and find the story that the
sequence might tell. I guess I’m trying to say
I didn’t go into making the album thinking it would turn out this way.
But looking at the thing now I do feel like the first part of the album
represents an identity becoming disassembled to the point of psychosis.
Then the latter third of the album is the
reassembly.
Interview-portrait dans le dernier Trois Couleurs, consultable ici :
Libellés :
Article,
Panda Bear,
Trois Couleurs
mardi
Jean-Louis Murat
Jean-Louis Murat
revient avec un double album, Babel,
enregistré dans sa région, l’Auvergne, avec des musiciens locaux (le Delano
Orchestra, de Clermont-Ferrand), et explore comme jamais son territoire, entre
panthéisme et herborisation, idéal édénique et nostalgie d’un paradis perdu.
Extrait de l'interview réalisée avec Tom Gagnaire pour Chro #10 :
Libellés :
Article,
Chronicart,
Jean-Louis Murat
lundi
Eden
Réponse à l'attaché de presse qui me demande ce que j'ai pensé de "Eden", de Mia Hansen-Love :
Concernant l'histoire, l'intrigue, je trouve très peu d'intérêt à suivre ainsi le parcours professionnel et sentimental du personnage principal.
Et pour ce qui est de l'Histoire (de la musique, ce qui m'intéressait en premier lieu), entre les discours récitatifs sur les caractéristiques des différents courant musicaux, une vision complétement hétéro-centrée des gens qui pratiquaient et défendaient cette musique (alors qu'elle était celle des gays au départ et en majorité), et très normative (l'abandon des idéaux adolescents et une vision très déprimante de la famille comme facteur de stabilité), et surtout le parti-pris de limiter l'accès à ces musiques au champ de prédilection de Paul (le garage), j'avoue être très dubitatif.
Restent une ouverture très belle et prometteuse, et de fidèles reconstitutions (j'étais au fort de Champigny dans les années 90, et je m'y suis retrouvé comme par magie), même si aucune ou très peu de références au LSD et ecstasy (drogues dominantes à l'époque, alors que la coke était très marginale).
Enfin, tout n'était pas édénique et joyeusement communautaire comme le film le montre : même au début, les gens dansaient seuls au milieu de la foule, le plus souvent...
Concernant l'histoire, l'intrigue, je trouve très peu d'intérêt à suivre ainsi le parcours professionnel et sentimental du personnage principal.
Et pour ce qui est de l'Histoire (de la musique, ce qui m'intéressait en premier lieu), entre les discours récitatifs sur les caractéristiques des différents courant musicaux, une vision complétement hétéro-centrée des gens qui pratiquaient et défendaient cette musique (alors qu'elle était celle des gays au départ et en majorité), et très normative (l'abandon des idéaux adolescents et une vision très déprimante de la famille comme facteur de stabilité), et surtout le parti-pris de limiter l'accès à ces musiques au champ de prédilection de Paul (le garage), j'avoue être très dubitatif.
Restent une ouverture très belle et prometteuse, et de fidèles reconstitutions (j'étais au fort de Champigny dans les années 90, et je m'y suis retrouvé comme par magie), même si aucune ou très peu de références au LSD et ecstasy (drogues dominantes à l'époque, alors que la coke était très marginale).
Enfin, tout n'était pas édénique et joyeusement communautaire comme le film le montre : même au début, les gens dansaient seuls au milieu de la foule, le plus souvent...
vendredi
Baxter Dury
Plus aéré et entraînant encore que son prédécesseur, It’s a pleasure renouvelle les contrepoints mélodiques entre le bad lad et la pretty girl (ici la française Fabienne Debarre), soutenu par des rythmiques electro-pop minimales, basses, claviers et guitares mixés à leur juste et distincte place (par le collaborateur des Arctic Monkeys, Craig Silvey). Entre spoken words cockney et promenades enlevées dans les méandres de son cerveau, entrain et mélancolie incarnent chez Dury les deux faces du même autoportrait, et l'on sent toujours chez lui la volonté d'en découdre avec un passé qu'il balance par-dessus bord comme une plaisanterie graveleuse. Les filles, toujours les filles…
J’aime beaucoup la
manière dont ta voix et celle de ta chanteuse, Fabienne Debarre, se mélangent,
se répondent, comme des contrepoints.
C’est un « truc » mélodique, très
simplement : je ne peux pas chanter les refrains, parce qu’ils sont trop
hauts en termes de tonalité, alors j’utilise une voix féminine, dans la
tradition de Gainsbourg, pour « décorer » la musique mélodiquement.
Ce n’est pas réfléchi, conceptualisé ou théâtralisé, ni une juxtaposition
symbiotique entre le masculin et le féminin ou je ne sais quoi, mais juste la
structure mélodique des chansons qui commande ça, et le fait que je ne puisse
pas chanter les refrains. Enfin, j’aime le son de la voix féminine, comme un
instrument. La guitare peut être trop invasive, les claviers trop clichés ou
prétentieux, la voix féminine est juste… je ne sais pas… plus jolie. Et elle
agit bien en opposition avec ma voix, qui est plus « fucked-up ». C’est un schéma assez classique finalement :
le gars en colère et la jolie chose… Qui ne s’opposent pas forcément
d’ailleurs, mais comme faisant partie de la même bande, un peu comme Bonnie
& Clyde.
Extrait de l'interview parue dans Chro #9
Libellés :
Article,
Baxter Dury,
Chronicart
mardi
A l'amitié
Les amis, on les voit rarement, plutôt par
"accident", ou alors, au bon moment. Sinon, ils évitent de nous
croiser, pour ne pas avoir ces choses désagréables à nous dire, ces "Que
deviens-tu ?" accusateurs. Et lorsqu'on les croise, lorsqu'il n'y a
malheureusement plus que le hasard, et que l'on s'étonne d'être là à un moment
si peu opportun, on se questionne du regard et on n'a pas beaucoup de réponses,
sinon des couperets d'évidences.
Tous mes amis font la gueule, c’est à cela que je
les reconnais. « Pourquoi l’amitié à un infidèle ? » aboient-ils
en chœur, blessures guérisseuses. Qu’ils me maltraitent. Mais qu’ils me
traitent. Suis-je lâche. Mais aimant. Prenez-moi par la main comme un petit
enfant, et menez-moi, confiant, vers l’obstacle. "Devant l’obstacle, on se
révèle." Les voici que je fais surgir comme d’un désert. Multipliez croche-pieds
et petits pains. Et que je me mange moi-même. J’aurais été prévenu. Et
procureur. Et mon propre avocat. M’aidant, car le ciel est sans secours. Me
disculpant, car ayant tu tout autre. M’accusant, l’index tendu suicidaire,
pistolet d’un enfant. Si je me menace, me sauverez-vous ? Je sors dans la
rue, le doigt me renseignant. Suivez la flèche.
Elle ne va pas bien vite. Il n’y a pas grand-mal, facile pour vous qui
avez filé vers d’autres cieux, il y a déjà bien longtemps. Moi, marchant sur
mes propres traces terrestres, je ne m’y retrouve plus. Je suis perdu, et sans
personne, que le sommeil repu et les songes de faiblesse. Des figures horribles
remplacent le jour. Je sursaute puis me confie à elles, fatigué. Nourrices
tordues, violeuses d’enfants, elles me pincent la joue mais même cela ne me
réveille pas. Je préfère un sommeil douloureux dont je n’aurai aucun souvenir.
Je me laisse tomber. Il fait noir, ou gris. Personne même ne chuchote. Et la lune,
grande lanterne silencieuse, qui regarde tout ça de très loin, inamovible.
Est-ce que je vais me réveiller ? Non. Le silence égrène son éternité. La
nuit dure et les derniers se lassent, se tournent les pouces ou s’endorment à
leur tour, ronflent dans le couloir la tête contre le mur. C’est aussi de ma
faute, leur sommeil. Gardiens endormis, je vous déteste. Ou alors, dormez, je
le veux. Et toutes mes pires volontés sont exaucées. Les dernières, mais
toujours les dernières. Allez, un dernier verre !
Je me réveille sur un banc. Celui de l’infamie. Il
est en bois, comme la croix, au milieu des arbres du jardin du Luxembourg, un
pays que je ne visiterai jamais. Mon pays c’est Paris, dis-je bêtement aux feuilles, pas loin des ruches. J’écris
sur un arbre. « Je veux quelqu’un pour jouer à ces jeux avec moi », en buvant un café, noir, que la buvette matinale dispose aux
joueurs de boules. Cette fille apparait, qui fait les cent pas, prend un café
en fredonnant, s’assied puis repart. Ma camarade de jeu que je n’ose
aborder ? "Ferme les yeux et dis un mot, n’importe lequel." Elle revient s’asseoir, cheveux noirs courts,
musique dans les oreilles sous les cheveux, une chansonnette sort de sa bouche
tandis qu’elle renverse avec application son café par terre, à ses pieds. On a
brûlé les archives ? Elle repart,
et devient l’arbre derrière lequel elle se cache. La forêt ? Chacun est un
arbre, les joueurs de boules, les enfants, les touristes qui parlent des
langues étranges, reposantes. Elle a renversé son café pour arroser la terre au
pied de son arbre. Elle s’est donné à boire, et repart fredonnant hanter le
jardin, définitivement. Sur mon banc, devant un parterre de chaises vides, que
j’imagine remplies d’autres fantômes, j’écoute crier les enfants derrière leurs
barrières, me lève, quitte le jardin. J’attendais un corbeau, il n’y avait que
des abeilles.
"Le mal au cœur me met au cœur du mal",
m'a dit un jour mon amie Anne.
dimanche
Promenade.
Stéphane appuie sur un bouton sur le zinc du bar, en disant « Run ». Je pars en courant.
Marcher dans la rue et ne prendre que les chemins
perpendiculaires, tourner sur la droite, ou sur la gauche, à chaque carrefour.
Se dire que le seul chemin vraiment perpendiculaire sur Terre est de monter
vers le ciel. Lever les yeux, marcher comme ça.
Envie d’écrire du code. De n’écrire que par code. Tout
discours est codé.
Marcher derrière cette petite femme en robe noire, qui
boitille en écartant bizarrement les jambes. Elle s’arrête pour me laisser
passer. Visage très blanc, yeux qui suivent l’ombre qui me croise, sans me
regarder. Me voilà invisible, comme si j’avais passé le relais à un fantôme.
Tous ceux que je croise désormais sont invisibles. Invisible à celui que j’étais
avant ce point de passage, je suis désormais un fantôme.
En marchant, je décide à un moment donné que la côte est une
pente. La rue se met à pencher vers le bas. Et effectivement, c’est plus facile
de descendre que de monter.
Les néons roses, les feux passant du rouge au vert, les
passants comme des obstacles : le trottoir devient comme la piste d’un jeu
vidéo. Video, en latin : « Je vois ».
Oublier la topographie, le plan de la ville. Ne plus
reconnaître la rue mille fois empruntée. Se retrouver soudainement en Chine.
Voir son ombre s’allonger sur le trottoir. Penser : « Plus
tu t’éloignes, plus ton ombre s’agrandit. ». Entendre quelqu’un dire au
passage : « Cela fait vingt-mille kilomètres. ». Marcher dans la
nuit.
lundi
Moodobio
J'ai écrit la bio (à destination des médias) de
l'album de Moodoïd pour le label Entreprise. Je me permets de la mettre
ici en ligne (version avant corrections par le label). Vous devriez en trouver des petits bouts
éparpillés un peu partout sur le world wide web du ctrl-c/ctrl-v. Enjoy.
Moodoïd – Le Monde Möö
Dans Le Colloque des Oiseaux,
du poète soufi Farid al-Din Attar, trente oiseaux courageux partent à la
recherche du Simurgh, roi occulte des volatiles, et traversent moult épreuves
périlleuses, et sept vallées, avant de parvenir à destination et de découvrir
que le Simurgh, finalement, c’était eux.
Le Monde Möö est
un tel genre de conte merveilleux, récit initiatique, mystique et amoureux,
livre pour enfants et oiseaux, plein de
pop-ups, de surprises et de changements de rythmes, de tons, d’états. C’est un
monde mol et savoureux, plastique et goûteux, une lune en fromage, où le feu
est bleu et où les garçons veulent de la magie, une planète toute neuve, que le
jeune Pablo Padovani (24 ans), alias Moodoïd, vous invite à explorer, tels de
nouveaux Candide, ou des Philémon sur les lettres de l’océan atlantique, dans
un périple musical merveilleux.
Le EP Je suis la
montagne, sorti au mois d’août 2013, plébiscité par la presse nationale et
internationale (Guardian, NME, faisant même la couverture du Monde pendant les
Transmusicales de Rennes), dévoilait d’un trait les multiples facettes de
Moodoïd, entre néo-psychédélisme, glam-rock et expérimentations pop. Mixé par
Kevin Parker, le leader de Tame Impala, évoquant les
hallucinations de Gong, les envolées de Robert Wyatt ou les rêveries de Connan
Mockasin, Je suis la montagne révélait
par la même occasion les talents de réalisateur de Pablo, officiant devant et
derrière la caméra de son clip surréaliste et gourmand, ou celui, bollywoodien
en diable, de De la folie pure.
Après ce EP en forme de fusée, Le Monde Möö a la forme d’une planète, droit sortie d’une fantaisie de Mélies ou d’une fantasmagorie exotique en cinémascope, pleine de détails colorés, de personnages burlesques et de paysages lysergiques. Votre guide sur cette lune molle et douce est issu d’une génération bercée par la coexistence des époques et l’absence de frontières, un enfant de la balle (son père est le saxophoniste de jazz Jean-Marc Padovani), ami d’étoiles psychédéliques (il a joué avec Hyperclean ou Melody’s Echo Chamber). Le voilà géniteur de planètes, hypnotiseur de nymphes, légèrement gourou. Il charme de sa voix claire et androgyne comme une source d’eau pure, aussi ambigu et extra-terrestre que Ziggy Stardust, aussi frenchy et chic qu’Alain Kan.
Tel un petit Prince pailleté et enturbanné, Pablo s’est entouré
sur scène de trois jeunes musiciennes virtuoses et a invité dans les
« Studios du Futur de l'Audiovisuel » du label Entreprise une
constellation de talents amicaux : Riff Cohen, Maud Nadal (Myra Lee), Melody
Prochet (Melody’s Echo Chamber), Didier Malherbe (Gong), Gilles Andrieux
(joueur émérite de Saz et de Ud), Vincent Segal (violoncelliste chez Bumcello)…
Enregistré et mixé par le franco-new-yorkais Nicolas Vernhes
(qui a travaillé avec Dominique A, Dirty Projectors, Deerhunter, Animal
Collective…), secondé sur le seul titre en anglais (Yes & You) par l’ami Kevin Parker, Le Monde
Möö est un rêve de pop progressive, aussi cannibale de genres musicaux
(pop, jazz, funk, electro, world) que put l’être le tropicalisme des Os
Mutantes, hybridant époques et
géographies, de l’Occident pop à l’Orient traditionnel (Asie, Iran, Turquie…),
mélangeant Saz, Ud, Duduk ou Cuica aux synthétiseurs analogiques, violoncelles ou
guitares électriques, passant le tout dans des cabines d’échos tournoyants et
vibratiles.
Asymétriques, rompant avec le systématisme occidental des mesures à quatre temps (on passe ici aisément du 6/4 au 5/4 pour revenir au 4/4), tout en restant mélodieuses, harmonieuses, mystérieuses, ces chansons d’amour enfantines, danses avec le feu, promenades sous la lune, sont autant d’invitations dionysiaques aux voyages oniriques, clés des songes, portes vers l’Orient, un Orient sensuel sans être forcément exotique, notre Orient intérieur, qu’il nous reste à retrouver. Nous sommes tous le Simurgh.
Inscription à :
Articles (Atom)