lundi
Oneohtrix Point Never - Le jardin dans la corbeille
"Une part de ma technique de composition est anthropologique, archéologique. J’aime les déchets, j’aime ce qui est rejeté comme anachronique, obsolète, car je crois que ces choses n’auraient pas dû être abandonnées, qu’elles sont plus importantes, ou au moins aussi importantes que tout ce qui remplit les livres d’histoire. On peut les utiliser dans une nouvelle approche des formes. A la fin, tout revient pour moi à une forme. Il ne s’agit pas juste de regarder en arrière avec nostalgie, mais de chercher de nouvelles formes, sans être limité par aucune technique, car il n’y a aucune raison de l’être."
Huitième album de l’américain Daniel Lopatin, Garden of Delete sonne comme la synthèse (numérique, chaotique, quantique) de l’époque. De percussions MIDI en voix robotiques pitchées, de chorales synthétiques en arpeggiators saturés, « G.O.D. » est moins electronica nostalgique que pop formaliste, maniériste, baroque, ancrée avant tout dans la matière sonore, rendue presque aussi concrète qu’un bloc de béton ou un pic à glace frappant un zinc. De manière viscérale, organique, anxieuse, ce « jardin des effacés » (salon des refusés, art dégénéré ?) semble vouloir sortir de l’oubli et de l’évaporation les déchets et résidus, autant sonores qu’idéels, que notre surconsommation culturelle produit à outrance, et à perte. Apocalyptique, ce « Garden of delete » révèle et sauve l’inouï (au sens d’inentendu) de l’ostracisme historique pour le transformer et le sublimer en fleur mutante, tournoyante comme une pensée, et lui donner une nouvelle vie, une nouvelle enfance. Rencontre avec le passionnant Daniel Lopatin :
http://www.chronicart.com/musique/oneohtrix-point-never-le-jardin-dans-la-corbeille/
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vendredi
7, de Tristan Garcia
« Tout passe et tout revient, mais moi je me souviens. »
Nous sommes des petits poucets qui disposent des petits
cailloux sur le chemin d’une vie que nous répétons éternellement. Parfois, ces
petits cailloux nous rappellent notre vie d’avant, qui est la même que notre
vie de maintenant, ou que notre vie d’après.
Tous les temps coexistent dans l’éternité, et un autre présent existe, où nous
faisons les mêmes gestes qu’ici et maintenant, mais c’est le monde autour de
nous qui a changé, ou la perception que nous en avons, ou bien encore le sens
des mots. De même qu’on ne se baigne pas deux fois dans la même rivière, on ne
vit pas deux fois la même vie, et on ne lit pas deux fois le même livre. Nos
passages préférés d’un livre sont aussi des passages,
c’est-à-dire des portes, des entrées, des sorties. Les mots forment
ces passages vers nos autres vies présentes. Les mots ont un sens, en ce sens
qu’ils nous indiquent une direction, ils nous orientent, ce sont des mots
fléchés. Souvent, trop souvent, pour nous orienter dans notre vie, cette vie unique mais
infiniment répétée, nous n’avons laissé que des miettes de pain sur le chemin, que
les oiseaux ont emportés, ou planté des graines dans une terre trop aride, où
rien n’a poussé. Alors, ce chemin, le chemin vers l’enfance, ou le chemin vers
la fin, le chemin d’une vie idéale, d’une vie achevée, d’une vie finie, ce chemin est perdu, la mémoire
est perdue. Pour connaître notre futur, il suffit de se souvenir, mais plus
nous vivons, plus nous revivons, et plus s’accumulent, se mélangent, se brouillent les
souvenirs, les repentirs, les réécritures, et notre mémoire est un palimpseste de
plus en plus indéchiffrable, une tapisserie de fils entremêlés en mailles de
plus en serrées. Nous perdons le fil, le sens, et nos vies sont de plus en plus confuses, brouillées, saturées. Heureusement, quelques bons
anges, recouverts d’inscriptions, lettrés à même l’écorce, la peau, le papier, nous
remettent sur la voie, et tels nos Ariane dans le labyrinthe de nos vies, nous
réorientent doucement avec des mots-clés qui sont aussi les nôtres. Des livres
comme « 7 » de Tristan Garcia, permettent ainsi l’anamnèse, c’est-à-dire
non pas de nous souvenir, mais de cesser d’oublier. A nous de ne pas perdre le
fil et d’accomplir la vie promise. Ou bien de traverser
toutes ces vies en prenant le passage, perpendiculaire, de l’écrivain, toujours
passant, ne faisant que passer, mais témoignant, se souvenant, laissant les
mots comme des petits cailloux qui ne s’envoleront pas, sur notre chemin idéal, pour faire bonne route, en bonne compagnie.
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