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Boredoms - Super æ



The Boredoms - Super æ (Warner Japan / Birdman, 1997)

Qu’est-ce que l’ennui (les ennuis même, boredoms) provoque, sinon le bruit pour le faire exploser, ou l’exploration des infinies possibilités qu’offre le réel et la matière sonore, les cordes d’une guitare, les cordes vocales, la bande d’une cassette, la peau d’une (deux) grosse(s) caisse(s) ? C’est la question que semble poser "Super æ", disque pivot dans la carrière du groupe, pivotant donc de la japanoise atonale et rageuse des premières années à l’euphorie des structures, des mélodies et des textures, qu’elles soient organiques, électriques, électroniques, en une forme presque pop, c’est-à- dire visant la synthèse de toutes les formes, dans un geste super-contemporain, c’est-à- dire excédant l’époque, annonçant la suivante.  "Super" aussi, car excessif, intensifiant les durées et les dbs, outrepassant les normes et les formes (pop, rock, electronica), comme une tentative d’épuisement (dans tous les sens du terme), ou comme un ancêtre hilare de l’accélérationnisme. 

Super æ est donc un trip mystique et assez mégalo pour porter en son titre même le nom de son principal créateur, Eye, EYE, EYヨ : soit le symbole phonétique æ, graphe ligaturé, palindromique, curieux 69 réflexif, qui se prononce comme l’« eye » anglais, ou l’œil dans la pyramide sur la pochette du disque (coucou les illuminés). Eye aurait statué que la prononciation correcte de ce « æ » serait « ah » ou « ugh », mais le disque (et toute la carrière du groupe) contient assez de chausse-trapes et de bonnes blagues (à commencer par les presque 7 minutes introductives de riffs de guitares doom saturées, jouées sur cassette et triturées en appuyant sur les touches "avance rapide" et "retour rapide" d’un magnétophone), pour qu’on ne s’y fie pas, ou trop. Car si le groupe s’aventure ici joyeusement vers les conventions, en krautrock électronicisé ("Super Going"), blues psychédélique hystérisé ("Super Are You"), freak-folk tribalisé ("Super Shine"), ou church-music complétement païenne, convoquant Can, Faust, Gong, Beefheart, le Velvet de Lou Reed ou le Lou Reed de "Metal Music Machine", c’est toujours dans une outrance cartoonesque, un dépassement iconoclaste, une joyeuse démesure, et avec une virtuosité paradoxalement dionysiaque. Une leçon de harsh joy.

Extrait d'un article co-écrit avec Olivier Lamm pour The Drone : http://www.the-drone.com/magazine/boredoms-de-ne-pas-rater-les-boredoms-%C3%A0-la-villette-sonique/