jeudi

Mac DeMarco - Another One



Entre la poésie lunaire de Jonathan Richman et la nonchalance lo-fi du jeune Beck, le canadien Mac DeMarco n’est pas seulement l’incarnation moderne de la coolitude indie, mais aussi un songwriter prolifique et sensible, affinant son écriture sur « Another One », album amoureux de l’été.

Ces chansons, comme d’apprentissage, évoquent autant la jalousie (« Another one ») que la maturité amoureuse dans la dépossession (« That’s fine as long as she’s happy, whitout me », chante-t-il sur « Without me »), ou simplement, la sublimation des émotions en musique, sur « I’ve been waiting for her », quand un cœur battant devient le rythme de la chanson elle-même : « Très souvent, la musique est en accord avec les paroles: si je parle de l’excitation d’une rencontre, je vais traduire ce sentiment en utilisant un rythme plus rapide, upbeat. Je me suis inscrit dans cette tradition de la chanson d’amour - Elvis, les Beatles, les Kinks - qui utilise des formes – couplets, refrains – et des mots simples, compréhensibles par tous. Il me semble que personne ne comprend vraiment ce sentiment, c’est sans doute la raison pour laquelle les musiciens continuent d’écrire des chansons d’amour…». L'air de rien, Mac DeMarco ajoute son petit cœur battant au grand chœur de la chanson d'amour.
 
Extrait de l'article paru dans Trois Couleurs #133

lundi

Le meilleur point de vue est au centre.



 Je vais au tabac acheter du tabac, des feuilles à rouler, des filtres pour mes cigarettes, au tabac où vont tous ces vieux joueurs de tiercé, de joker, de banco, de rapido, de black jack, de morpion, et ils passent tous devant moi pour acheter des jeux à gratter, ils grattent, ils grattent. Il y en a un qui demande un amigo. Je ne savais pas qu’on pouvait acheter un amigo. Je l’entends dire « Je voudrais un amigo » et j’ai l’impression qu’il demande un ami, qu'il veut acheter un ami, qu'il veut gratter un ami. Puis il essaie d’engager la conversation avec la vendeuse chinoise d’amigo, « Ca va ? », et elle répond : « Ca va. ». Il rit, un peu amer, et dit : « Rien à dire ! », et elle répond : « Rien à dire ! ». J’ai envie d’acheter un jeu pour payer mon loyer de retard, et puis non. Quand je sors, quelqu’un dit tout haut dans la file d’attente : « Tu n’investis pas dans le jeu toi, tu investis dans la fumée. ». Je me dis que oui, et alors, quoi, je fais ce que je veux. Ça m’énerve. Je marche, je rentre chez moi, enfin, chez nous, avec mon colocataire, et, en ce moment, son invité mexicain, Raul, qui dort dans le salon sur le canapé lit. Ça doit être lui, l’amigo, en fait, je me dis. Je rentre chez moi, chez nous, et je passe devant un magasin d’électroménager et cette affiche sur sa vitrine : « Attention, arrivage de détecteurs de fumée. ». Je repense au gars dans la file d’attente du tabac qui dit tout haut que j’investis dans la fumée, et je me dis que c’est sans doute lui le détecteur de fumée. C’est une drôle de synchronicité où la cause arrive après l’effet. On me prévient de l’arrivée d’un détecteur de fumée après qu’il se soit manifesté. Cet avertissement ne me sert donc à rien. Sinon à me dire que le temps va dans les deux sens, et que je devrais être plus attentif à relier les événements du présent vers le passé, plutôt que de toujours voir les coïncidences aller dans la flèche du temps, du passé vers le présent, puis du présent vers le futur.  Pour deviner le futur, il faut regarder dans le passé. Mais nous sommes tellement conditionnés, je suis tellement conditionné à mettre la conséquence après la cause que je ne me rends pas compte que tous les temps coexistent. Tous les temps coexistent dans l'éternité, il faut juste être au milieu, au beau milieu, bien au centre du temps, dans le présent, sans préjuger de ce qu’il y a avant, ou après. Le meilleur point de vue est au centre. J'ai envie d'arrêter de fumer, pour retrouver la mémoire.

(Extrait d'un livre à paraître quand je l'aurai fini.)

mercredi

J'ai fait un rave


 "Platon voulait substituer à la communauté démocratique et ignorante du théâtre une autre communauté, résumée dans une autre performance des corps. Il lui opposait la communauté chorégraphique où nul ne demeure un spectateur immobile, où chacun doit se mouvoir selon le rythme communautaire fixé par la proportion mathématique, quitte à ce qu’il faille pour cela enivrer les vieillards rétifs à entrer dans la danse collective."

Jacques Rancière, Le spectateur émancipé (La fabrique, 2008)
 




The Leftovers – Il ne faut pas souhaiter la mort des gens, ça les fait vivre plus longtemps.



  
Notes faisant suite au premier visionnage de la série « The Leftovers », et de cette conférence au forum des images. http://series-mania.fr/video/leftovers-une-serie-philosophique/

« Il n’y aura plus que ça. La demande sera telle que…  il n’y aura plus que des réponses. Tous les textes seront des réponses, en somme. »
(Marguerite Duras, Lettre pour l’an 2000)

Je crois que « The Leftovers » parle surtout de notre responsabilité dans la disparition de nos proches, et de notre incapacité à assumer cette responsabilité. Dans la série de Lindelof et Perrotta, les 2% de la population mondiale qui ont été « enlevés » ont disparus parce que quelqu’un, à ce moment précis, a souhaité leur disparition, fait le vœu de leur disparition, prié pour leur disparition. C’est la mère exaspérée par les pleurs de son enfant (dans le pilote), celle qui ne supporte plus le stress de la vie familiale (Nora Durst), celui qui ne veut pas avoir un nouvel enfant (Kevin Garvey). Personne ne veut accepter et reconnaître que cette disparition était un vœu exaucé, sauf les « guilty remnants », qui portent en étendard cet adjectif, « guilty » (« coupables »), car ils savent qu’ils sont bien responsables de ces disparitions, parce qu’ils les ont désirées. Leurs actions visent à produire chez chacun la remémoration (l’anamnèse, la perte de l’oubli), de ce moment, ce moment de la pensée mauvaise, de la pensée maligne, tueuse, en vue du repentir, de la rédemption. « The Leftovers » nous fait progressivement deviner et comprendre quelles ont été les mauvaises pensées des individus. Une pensé n’est pas mauvaise, seule la verbalisation de cette pensée peut éventuellement l’être, car elle l’a fait passer de la puissance à l’acte. Dire serait faire. Et pourtant, ici, une pensée, autant qu’une parole, lorsqu’elle est la même pour des millions de personnes au même moment, cette pensée peut tuer (ou faire disparaître).  « The Leftovers » nous fait rentrer dans la tête des gens, nous permet d’entendre ce qui n’a pas été dit : leurs souhaits les plus noirs (voir disparaître ceux qu'ils aiment), qui sans pourtant avoir été énoncés, se sont réalisés.

Fumer permet de rester sur Terre, de ne jamais couper son lien avec la matière : fumer pour avoir un corps, toujours faire travailler son corps (voyez les fous dans les hôpitaux psychiatriques, toujours à demander une cigarette, à la recherche du moindre mégot par terre). Car l’enlèvement (ou le ravissement, plus joli) survient quand on n’a plus de corps. C’est la rupture d’avec la matière, la séparation d’avec nos liens terrestres. Fumer ne tue pas, mais permet de rester vivant plus longtemps (ou en sursis).  Les « guilty remnants » choisissent d’assumer leur culpabilité (jusqu’au sacrifice physique, comme possibilité de rédemption), ils décident de rester sur Terre pour obliger les autres à reconnaître également leur responsabilité, leur culpabilité. Seul moyen de tous partir. Et « The Leftovers » est bien la face sombre de « Lost », en ce sens qu'il ne s’agit plus de « Vivre ensemble, mourir seul », mais de mourir ensemble (ou de partir ensemble, quoique cela recouvre) car cette vie sur Terre est un cauchemar (communauté brisée, solitude, incommunicabilité), et la seule possibilité de communion semble ne pouvoir plus désormais s'effectuer que dans la passion triste, la haine, la violence, la guerre. Il est trop tard pour avoir peur.

Tous les autres veulent continuer de vivre ce cauchemar le plus longtemps possible, en somnambules. Ils survivent, mais ce sont des morts-vivants, ils se sont « endormis dans la mort » (Lettre aux Thessaloniciens, 4:13-18), et vivre n’est qu’un long et lent mourir. Ils travaillent (« soyons désinvoltes, n’ayons l’air de rien »), essaient de refaire leur vie (« move on »), ou accusent ceux qui sont partis d’avoir été de mauvaises personnes, comme le fait le prêtre Matt Jamison. Ces derniers portent sans doute plus que tous les autres la responsabilité de l’enlèvement. Plus est forte l’accusation qu’ils portent, plus doit être forte leur sentiment de culpabilité.

Kevin Garvey est sans doute Job, celui du « Livre de Job » dans l’Ancien Testament. Il a tout perdu, mais c’est l’épreuve que doit vivre celui qui est le plus fidèle à Dieu (Garvey refuse toute nouvelle disparition, son rôle est de maintenir la cohésion sociale, il est au service de la communauté). Plus l’on respecte les commandements de Dieu, plus l’épreuve est difficile. Dans le texte biblique, les amis de Job (comme le prêtre ici) soutiennent l'idée que Dieu étant juste, quiconque connaît un sort aussi peu enviable que celui de Job est nécessairement puni pour avoir désobéi à la loi divine. Job, convaincu de son innocence, maintient que ses souffrances ne pourraient être dues à ses péchés, et qu'il n'y a donc pas de raison que Dieu le punisse. Il refuse cependant obstinément de maudire son nom. Pour cela, à la fin, Dieu exauce le vœu de Job : il lui rend tout (et plus encore) ce qu’il lui avait ôté.

De la même manière, dans « The Leftovers », Dieu (incarné par Holy Wayne), à la fin, exauce le vœu de Garvey, et lui rend tout ce qu’il avait perdu (sa famille). 

La série se termine comme elle a commencé : par une prière qui a été exaucée.

Pour le meilleur, ou pour le pire ? L'exaspération de nos conditions de vie sur Terre sera peut-être la condition nécessaire de notre volonté de la quitter. Cela peut être un projet politique, autant que métaphysique. Il est pour l'instant l'objet d'une fiction, pour nous, ceux qui sont restés.

« Les trois grandes racines spirituelles du pêché :
- L'apparence de la liberté dans la désobéissance aux commandements de Dieu.
- L'apparence de l'autonomie dans la secessio hors de la communauté (des justes).
- L'apparence de l'infinité dans l'abîme vide du mal. »
(Walter Benjamin, Fragments)

jeudi

Catherine Hershey - Ici le coeur


Catherine Hershey​ chante a cappella ou en harmonies vocales, comme renouant avec la fonction liturgique originale du chant, avec la puissance de la parole, de la voix, cette « harpe sacrée » des gospels. Tout passe mieux de bouche à oreilles, et la parole amplifiée perd de sa puissance. « Au-delà des bras » me fait penser à Léon Chestov, qui postule que la foi libère, quand la raison aliène. Il cite Saint Paul, parlant d’Abraham comme celui parti « sans savoir où son chemin le menait ». L'amour est d'abord idiot, et la dévoration, toujours eucharistique : « J'ai pris feu, à tes pieds je me suis allongé. J'ai caressé tes mille peaux, tu as embrassé mes os, et mon cœur idiot. Je suis tombée, affamée. Amour, j'ai voulu te dévorer. »)  ; « La chute » me rappelle l’« Homo Sacer », de Giorgio Agamben, l’homme sacré, exclu de la société romaine, qui peut être tué par n'importe qui, mais qui ne peut faire l'objet d'un sacrifice humain lors d'une cérémonie religieuse. Comme est errante l’âme de celui qu’on a privé de sépulture. Agamben, dans « La communauté qui vient », parle aussi des enfants morts avant d’avoir été baptisés, comme errants dans les limbes. Ces limbes ne sont pas une peine afflictive, comme l’enfer, mais une peine privative : ils sont juste privés de la vision de Dieu, et du coup, sont impassibles face à sa justice. Ils restent innocents, comme éternellement enfants. Cette innocence les rend aussi très sensuels, ou sexuels, comme peut l’être  « Ici le cœur » (là où est le trésor). Catherine Hershey regarde et chante le monde, et l’humanité, avec ces yeux d’enfant, cette voix de l’innocence, et de l’étonnement, mystique, spirituel. C’est la plus belle voix et le chant le plus pur que vous pourrez entendre ces jours-ci, et ce soir, jeudi 9 avril, en particulier, à l'Olympic, pour la soirée organisée par La Souterraine​.

https://www.facebook.com/events/1554832438116794/

vendredi

Notes sur « Saint Laurent » de Bertrand Bonello



 « Les miroirs et la copulation sont abominables, parce qu'ils multiplient le nombre des hommes. ».
J.L Borges, Histoire de l’infamie

[Attention, SPOILERS & libres associations]

Générique : le sifflement du serpent accompagne (déjà) Europe (Europa Corp) sortant de l’eau.


Yves Saint Laurent en interview au téléphone : « Les médecins militaires du Val de Grâce m’ont bourré de tranquillisants, au point de m’avoir rendu dépendant. Ils m’ont fait des electro-chocs aussi. C’était l’horreur, j’étais entouré de vrais fous. Il y en a qui voulaient me caresser mais je ne voulais pas me laisser faire. ». Il parle des médecins militaires du Val de Grâce (ce sont eux qui voulaient le caresser etc.).

Plan de Saint Laurent étendu dans la boue, dans un chantier. « Saint Laurent » sur satin noir. Yves Saint Laurent est mort [ou alors c’est le petit Yves qui est mort, l’enfant. Il ne reste que le nom, la marque]. Ce film est une nécrologie. Sentiment qui sera confirmé par les dernières scènes du film, avec les journalistes de Libération, dont le réalisateur, qui doivent écrire sa nécrologie.


Début du film, dans l’atelier de couture, une chirurgienne, ou une militaire, ou une femme croque-mort, toute habillée de blanc,  prend les mensurations d’une femme, comme d’un cadavre (comme dans un western, pour faire rentrer le corps dans un tombeau). 

Les mannequins de couture sont les corps des femmes découpées. Sans têtes. Des cadavres. Des modèles (au sens bressonien ?)

On parle des modèles avec des numéros : le 17, le 28. Elles n’ont plus de noms, réifiées, ce sont des numéros, comme dans un camp.

Une des chefs couturière dit : « Ca tire, il y a trop de tension dans la doublure. » Mais j’entends : « Satyre, il y a trop de tension dans la doublure. ».  A ce moment là, « Mr Saint Laurent met sa musique », et un des modèles sort d’une pièce adjacente, comme de derrière des rideaux. Le satyre relâche sa victime.

On parle du vêtement, du revers, de la couture, mais en fait on parle de la femme qui va être découpée, recousue.  Mr Saint Laurent va la « refaire », la transformer. 

Les ouvrières sont torturées. A celle-ci on enfonce, avec une machine, une épingle dans le doigt. Plus tard, elle se mettra à pleurer.


« On se tait s’il vous plait. » Le seul homme ici entre toutes ces femmes est le chef, comme un kapo. 

La femme n’existe pas. Seul existe le mannequin, seul existe ce qu’on va faire d’elle, en quoi on va la transformer.
Premier jeu de miroirs avec Pierre Bergé. Quand l’un est flou, l’autre ne  l’est pas, et vice-versa. L’un cache l’autre. YSL cache Pierre Bergé. YSL est le masque, le mannequin, le modèle, de Bergé. Bergé tire les ficelles, c'est son démon. Saint Laurent est possédé par Bergé.

On arrache les bras au mannequin. Ou bien alors sa première peau. 

On coupe, on découpe, on coud, on recoud la femme qui est dans la pièce d’à côté. C’est une opération chirurgicale, magique.

On emmène la femme, docile, vers sa transformation, dans les escaliers. YSL est Frankenstein (mais toutes les coutures sont apparentes sur ses créatures). 

YSL dessine comme une machine, comme un robot. Il ne s’arrête jamais.

On apprend que cette petite armée de précision va aussi modifier Catherine Deneuve, Françoise Hardy, Sylvie Vartan, et surtout… Marguerite Duras. Qu’on aurait crue intouchable (d’ailleurs seul YSL se rappelle le nom de cette victime de choix).

Un robot parle chiffres, l’autre robot dessine.  Le robot qui dessine voudrait que le robot qui parle se taise, mange une mousse au chocolat, redevienne un peu humain. Et plus le robot qui parle continue de parler, parle de plus en plus vite, et plus on est agacé, et plus on a envie qu’elle se taise, et d’écouter seulement la musique, qui va aussi de plus en plus vite. A ce moment là, YSL demande : « Vous ne voulez pas me laisser écouter la musique s’il vous plait ? ». YSL est dans notre tête. Nous faisons corps avec lui. Son reflet dans le miroir vient confirmer cette identification.

A la radio, une voix de femme dit : «  Si on est belle, on est heureuse. ». Pierre Bergé apporte une religieuse au chocolat, le petit vice d’YSL. Le premier de ses vices, le seul pour l’instant. On n’écoute plus vraiment la voix de la femme à la radio, c’est un fantôme dans la machine.

La nuit, YSL marche dans la rue à la recherche d’un partenaire sexuel, ou d’un micheton. Ils sont flous, il est net. Quand il enlève ses lunettes, son visage devient soudainement flou et eux deviennent soudainement nets. Ainsi, il devient indiscernable (Pierre Bergé se cache ?).



Dans un bar, pendant la chanson « I put a spell on you », il jette des sorts, ensorcèle, par la parole, par le regard. Il pose (littéralement) son visage sur celui d’une très belle femme. Aussitôt, obéissante, elle va danser, et ses cheveux sur son visage sont comme le voile qui recouvre une opération. Elle apparait ensuite dans le miroir, et YSL est aussi dans le miroir. Il s’est dédoublé, il s’est cloné. C’est ainsi qu’il procède, se multiplie, c’est son « art », sa magie (noire). C’est un démon, un incube. Il utilise les miroirs pour posséder les corps, se démultiplier, se répandre.



Elle est libre, indépendante. Il veut la débaucher de son employeur. « Je vous le demande ». « Je ne peux pas ». Elle obéira, parce qu’elle est lui. 

De retour à l’atelier, YSL a « envie de péter ». Il a encore un corps, ou se moque de l’instant (« grave »), et de cette Betty qui a fini par lui obéir.  Elle lui dit même, dans son inconscience, sa bêtise, sa vanité, lorsqu’elle porte son vêtement, qu’il « devrait le porter lui-même, que ça lui ira très bien ». Bien sûr, puisqu’elle est lui.

Là, ce n’est pas Andy Warhol qui parle, ce sont ces mannequins en plastique rouge, pop. Vêtements sans visages, corps sans personnes, les traits gommés. Ils le mettent au défi de créer, après la robe Mondrian, la robe Andy Warhol. Une robe pour des mannequins sans visages. 


YSL fume, nouveau vice. Tous ses vices ensuite seront « oraux », liés à la bouche : nourriture, cigarette, boisson, gélules… YSL sera toujours un enfant qui aime les sucreries, le lait maternel. Manière de rester humain, de rester un corps, résistance à Bergé 

YSL et sa succube Betty (comme sortie de l’œuf sur la cheminée), se regardent dans les miroirs. « Bergé, je ne serai pas ton mouton. », dit-il avec un bandeau de pirate sur l’œil (ou comment ne pas être vu par son double ?).

Dans la boite de nuit, des corps sans têtes dansent. Betty dit qu’ « ici aussi, on peut disparaître sans s’en apercevoir ». Ironie de la situation : c’est justement ce qui vient de lui arriver.

A propos de Bergé, YSL dit : « C’est un monstre, tu sais pourquoi ? Parce qu’il est laid. » Cela ne signifie pas que c’est sa laideur qui le rend monstrueux, mais qu’elle est la conséquence de sa monstruosité, qui est morale. Sa monstruosité est ailleurs que dans son physique. 

« Il faut que je repasse au studio pour les finitions. » C’est elle qu’il doit finir. Elle, elle danse, tandis que les années passent. Musique en boucle et split screen : le regard est beaucoup plus attiré par l’infernale répétition du défilé de mannequin sur la droite, que par les images d’actualité dramatiques sur la gauche.  

Léa Seydoux (Loulou de la falaise) apparait, les cheveux cachés par un turban. Muse, annonce le défilé de 1976.

Il peut retirer du vestiaire tous les manteaux, car ce sont les siens. Tout le monde, ou presque (c’est le programme), est YSL.

Quand YSL, au Maroc, devant ses amis, avec un turban sur la tête, se déguise en « Samantha, chanteuse de l’underground new-yorkais », il(s) se moque(nt) de ses client(e)s.  Il va leur "faire mal" (chanson de Boris Vian).


« Ma prochaine collection, ce sera comme si je défilais nu devant tout le monde ». « Yves est prêt à noyer notre enfant. », dit Bergé. « Oui, qu’il étouffe. » répond YSL. C’est leur programme. Ils rient. « Tu habilles toute la planète. », dit quelqu’un. Leur enfant, c’est toute la planète. YSL est prêt à noyer toute la planète.

Sa mère organisait des grandes fêtes, avec des « dames qui arrivaient en fourrures : de l’astracan, du renard, et leurs robes tellement années 40… ». [Théorie d’Adorno : ce n’est qu’à partir du moment où les hommes ont été capables d’industrialiser la mort des animaux qu’ils ont rendu possibles les camps de concentration.]. 

Bergé enferme YSL dans un placard. Il en ressort nu (comme rené, ou cloné). Il avait prévenu : « Ma prochaine collection, ce sera comme si je défilais nu devant tout le monde ».

YSL répond à Warhol. Même mise en scène qu’avec les mannequins pop sans visages, sauf que là, ce ne sont que des visages, ceux des plus grandes actrices, des plus belles femmes du monde, épinglées sur le mur, qui parlent, qui répondent à Andy Warhol. YSL n’a plus besoin de faire la robe Andy Warhol, il l’a dépassé, il va faire la robe Yves Saint Laurent. 


Défilé : les numéros défilent. Ce sont des corps sans têtes, ce sont des corps sans âmes, les succubes d’YSL. Les riches client(e)s, privilégié(e)s, regardent passer ces femmes vides (ou pleines de YSL, ou toutes surfaces), regardent leurs vêtements, bien sûr, mais c’est comme si ces femmes vides subissaient l’humiliation d’être regardées, mais de ne pas être vues. Que se passe-t-il dans la tête d’un mannequin qui défile ? Jusqu’où s’abandonnera-t-elle ? Jusqu’où se soumettra-t-elle ? Je plains ces femmes qu’YSL a vidées de leur âme. Que vont-elles devenir ? Parmi tous ces riches clientes, voilà Betty et Lou, assises elles aussi, spectatrices du défilé. Si les succubes sont devenues clientes, c’est donc que toutes les clientes sont d’anciennes succubes, qu’elles ont toutes été incubées par YSL. Celles qu’on croyait privilégiées, celles qu’on croyait dominantes, sont aussi les victimes d’YSL, et personne ici n’en a réchappé. Et déjà, les sièges blancs côte à côte semblent dessiner la silhouette d’un serpent.


YSL en colère, frappe contre un mur. Aussitôt, il se retrouve enfermé (nouveau placard), tourne en rond dans une grande pièce grise et vide. Ah non, il y a un tourne-disque, et du champagne. Et en fait, il y a aussi Pierre Bergé qui lit le journal, et on s’aperçoit que c’est un studio de photo. YSL prend une bouteille de parfum. YSL se met nu pour la photo. Bergé : « Tu vas nous faire un scandale. » (je n’entends pas de reproches dans cette assertion). YSL tient la promesse qu’il avait faite au Maroc. « Ma prochaine collection, ce sera comme si je défilais nu devant tout le monde ».YSL n’est plus vêtu que de son parfum. Il est l’air du temps.

Scène de négociation entre Bergé et les actionnaires américains. Bergé défend le prêt-à-porter. Industrialisation, uniformisation, mondialisation. La seule femme dans la pièce est confinée à sa fonction de traduction, comme une machine. Bergé : « Les autres continuent de vendre des robes, alors que nous, nous pouvons vendre Yves Saint Laurent. ». « Je veux récupérer mon nom. ». Opération magique. Sorcellerie et capitalisme. On décroche, on n’entend plus que des chiffres.

Sa mère : « Tu es Yves Saint Laurent. Il faut toute une vie pour être Matisse. ». Et en effet, ce sera sa « collection de peintre », celle de 1976, qui sera aussi la dernière de sa "vie". 

La prison d’YSL a changé : ce sont les loges d’un spectacle de Zizi Jeammaire au Casino de Paris.  Puis une boite de nuit. Répétition de la scène de discothèque avec Betty ("sortilège"), mais diluée dans l’alcool et diffractée par la drogue. Cette fois-ci, c’est avec Jacques de Bascher (Louis Garrel), qu’ils échangent des regards à travers les corps des danseurs, qui sont comme des miroirs (clones), ondulant en vagues (le champagne qui les traverses est comme leurs regards échangés). De Bascher, plein de morgue, un doigt dans la bouche, est accompagné par la violence physique (une bagarre éclate sur son passage). Annonce la suite.


Jacques de Bascher est décrit en voix off dans le plan suivant : « C’est une fabrication française, tout est fait en France. Vous allez me demander en quelle matière il est fait. Comme ça, à l’œil, on est un peu émoustillé. C’est de la toile cirée. Ça ne se voit pas parce que c’est travaillé comme du cuir. ». 

La cliente jouée par Valeria Bruni Tedeschi, résistante, car ignorante, est transformée en YSL avec un plaisir sadique. On joue avec elle, avec sa vulnérabilité. Il l’éjecte du plan, « Vous voulez bien faire quelques pas ? », pour rester seul devant le miroir. « Je me sens très différente », dit-elle en regardant le reflet d’YSL dans le miroir. Puis ajoute : « Vous êtes le seul aujourd’hui. » A prendre à la lettre : YSL est seul avec lui-même, même quand il est avec les autres, même face à elle. Il lui répond : « J’ai créé un monstre, et maintenant je dois vivre avec », et il parle aussi d’elle, du monstre qu’il vient de créer, et qu’elle est devenue sous ses mains, sous son regard. Elle, c’est lui. « Un beau monstre » dit-elle, comme pour sauver sa peau, un petit peu. 

YSL chez Jacques de Bascher, derrière la porte verte. Garrel joue tout le temps avec sa bouche, ses lèvres. Il s’assied sur un siège de gynécologue (rentrer dans la femme), qui ressemble à un instrument de torture, et qui est l’élément central de la pièce.

Dans le jardin des tuileries, le son que produisent les hommes se glissant à travers les feuillages ressemble (déjà) au sifflement d’un serpent. De Bascher : « Pas de noms, pas de mots. Des bêtes, aimantées par le besoin. ». Il enlève encore ses lunettes avant de rentrer dans le buisson. Voit flou. 

Dans l’appartement : alcool, cigarette, pilules. Des clones d’YSL répètent ses gestes mécaniquement, les coutures à même la peau (Frankenstein). Musique d’ambiance synthétique, cuir et fourrures. Un homme nu sur la table de gynécologie. YSL ressemble à un serpent (chemise à motifs plaquée sur la peau). Le long canapé de cuir, en arc de cercle tout autour de la pièce, ressemble à un serpent. YSL est un démiurge fou, maître malade de cette réalité. 


YSL ouvre la porte à des militaires, vêtus de cuir, qui rentrent dans l’appartement. Accélération de l’histoire. YSL ouvre la porte à la guerre, au fascisme. Il se présente : « Je m’appelle Pierre Bergé. ». C’est en effet le vrai nom de YSL, c’est toujours Pierre Bergé, qui tire les ficelles, qui fait rentrer les policiers dans l'histoire. YSL est toujours le succube de Pierre Bergé.


Garrel-de Bascher, avec sa petite moustache années 30, devant son miroir rococo, dit qu’il inspire Karl (Lagerfeld). C’est en fait YSL, via son succube de Bascher, qui inspire Karl ? 

-           - « On dirait un peu un gentleman de la république de Weimar. 
-          - Au moins, ils savaient s’habiller. ».

YSL/Bergé fait rentrer le fascisme, le nazisme, dans l’histoire. Anachronisme ou répétition de l’histoire. Tous les temps coexistent dans l’éternité. Des cock-rings en forme de serpents, Ourobouros, le serpent se mord la queue. Cycle infernal.

Scène de repas : Bergé et les employés de Saint Laurent ressemblent à des notables de province, pendant l’occupation. Mal habillés, conversations sur le foie gras, sur l’Alsace, la France.

YSL donne de l’argent à une des ouvrières pour l’aider à se faire avorter pendant son congé. Pendant le discours de Bergé, il murmure au chef d’atelier : « Je préférerais qu’elle ne revienne pas. ». Cette violence contredit la dernière phrase du discours de Bergé : « Tu as toujours été là pour la femme, et tu seras encore là longtemps pour elle ». YSL n’a jamais été là pour la femme. A la fin du discours YSL dit : « Je suis très heureux de partager ces derniers moments avec vous, ici. ». On imagine qu’il s’agit des derniers moments de sa vie.

YSL fait visiter son nouvel appartement à De Bascher. Nouveau placard, nouvelle prison : il n’y aucune fenêtre. Décoration : « Un cobra en bronze, dressé, impressionnant », des miroirs partout « comme dans les châteaux de Bavière ». « Peut-être un jour, un Matisse, un Mondrian » (comme des prises de guerre).

YSL : « Ne t’approches pas du lit, tu vas te faire mordre. Tu ne les entends pas siffler ? » (les serpents). De Bascher est comme déconnecté, comme déjà mort. Il a été mordu. YSL est le serpent.

Bergé offre une croûte (mauvais goût français) représentant la chambre de Proust. YSL : « Ça donne envie d’y rentrer, de s’allonger sur le lit. ». Annonce la suite, chambre sans fenêtre, prison, tombeau.

Boite de nuit, les clones de YSL avancent au ralenti, comme pris dans la glace. Tout est blanc. Un chanteur le visage maquillé de blanc, chante du Klaus Nomi. Comme le diable dans la Divine Comédie de Dante, au fond de l’enfer. De Bascher tient debout comme pendu, tenu par des fils invisibles, la tête penchée, les yeux clos, déjà mort, zombie. [Il ressemble aux personnages virtuels du jeu vidéo de Carpenter dans Existenz, qui se mettent « en boucle » lorsqu’on ne leur parle pas.]


YSL voit un serpent dans son lit. Le serpent, c’est Pierre Bergé (avec qui il partage son lit). A chaque fois qu’on a écrit YSL, on aurait pu écrire Pierre Bergé. 

MOITIE DU FILM – RETOUR EN 1974 (traversée du miroir, mort de YSL, limbes, souvenirs diffractés, nouveau corps de YSL, YSL remplacé)

Retour au début du film. Interview. 

Bergé : « Ce n’est pas Yves Saint Laurent qui a fait cette interview, c’est quelqu’un qui se fait passer pour lui. ». C’est-à-dire que ce n’est pas lui, Pierre Bergé, qui a fait cette interview. 

YSL dessine avec difficulté, souffrance (fait penser à la petite ouvrière torturée au début du film).

De Bascher lit « Rose Poussière » de Jean-Jacques Schuhl (l’écriture-couture, Frankenstein-le-dandy). Fist-fucking + Jacques Brel.  Acide. Discours vides, accélération de la violence. Décadence. Bêtise mortifère. Vide dangereux. S’embrassent en partageant une gélule. Cigarette, alcool, baisers. Le chien mange les pilules. Le canapé en cuir comme un grand serpent. De la fourrure partout (astracan, renard). YSL tombe sur des tessons de bouteille. Le chien tombe aussi, meurt. YSL meurt comme un chien.

Bergé rentre de force chez De Bascher. Plan suivant, YSL va poser une couronne sur la tombe, non pas de De Bascher, mais de son chien Moujik. C’est pourtant bien De Bascher qui est mort dans le film, tué par Bergé. Mais aussi YSL. Il porte une couronne sur sa propre tombe.

YSL erre dans son appartement, tombeau, mausolée. 

Le chien de retour dans les couloirs, comme un fantôme de De Bascher, un fantôme d’YSL. Puis, plein de chiens semblables courent et forniquent dans les couloirs, comme tous les clones d’YSL, de De Bascher, comme tous les clients d’YSL, qui sont des chiens, des clones, qui sont des fantômes.   On expérimente, en remplaçant le chien mort par un autre. Bientôt, on remplacera YSL par un autre [comme on a remplacé Paul McCartney par un sosie, dit-on].

Les ouvrières vont pointer, comme dans n'importe quelle usine. Bergé négocie avec les américains pour le parfum Opium. Opium du peuple. Sorcellerie et capitalisme.

Miroir dans l’atelier. Miroir dans l’appartement de De Bascher. Quand il met sa cravate, c’est comme si on lui mettait une laisse. 

Lettre à De Bascher, en voix off : « J’aime les corps sans âmes, parce que l’âme, elle est ailleurs. ». Envoie une ouvrière poster la lettre, comme s’il était enfermé : « Vous ne m’avez pas vu, ce n’était pas moi. Je ne suis plus là. ». L’âme de Saint Laurent est ailleurs, il n’est plus là, il est déjà dans les limbes.

Les deux filles dans la rue : « C’est peut-être juste un parfum maintenant. ». « Son chien est mort. [De Bascher] Overdose. » « He’s dead ».

Scène hallucinante avec des légionnaires qui chantent. Un légionnaire marche dans un couloir, comme un défilé. Tous les défilés sont militaires. La mode est une fabrication d’uniformes. Programme de Bergé accompli, uniformisation du monde en YSL, fascisme capitaliste. Saint Laurent est mort.


Bergé va chercher le cadavre d’YSL  dans un chantier. Le ramène chez lui. On dirait un intérieur bourgeois dans un film de Chabrol, avec une grosse croix chrétienne sur le mur, comme un tombeau, l’intérieur d’un cercueil. Pas de fenêtres.

Taille-crayon, épilation, rouge à lèvre. Maquillage comme une torture. « Je n’en peux plus de me voir. » dit-il, lançant un regard à Bergé. De voir des YSL partout, des succubes, des clones, des fantômes.

Travelling sur le chien cloné, la sculpture de serpent. YSL est désormais joué par Helmut Berger. Le corps a changé. YSL a été remplacé.

« Alors c’est parti. Pour la couleur de Johnny. » dit le coiffeur. C’est le « parti » qui est important. « YSL est parti, pour la couleur de Johnny. », remplacé par la couleur de Johnny.

Retour en 1976. YSL est enfermé chez lui. Des cadenas aux fenêtres. C’est la dernière fois qu’on le voit vraiment. YSL à jamais enfermé dans la petite chambre de Swan, le tableau, la croûte, fin infernale. Il a essayé de tuer Bergé avec un marbre antique. Il sera à jamais dans les limbes (temps diffracté, souvenirs). Ses clones continueront mécaniquement le travail.

Souvenirs de sa mère. Extrait de « Madame de… » de Max Ophüls. Danielle Darieux, la joue appuyée contre une porte qui se referme, répète à l’homme qui s’en va « Je ne vous aime pas, je ne vous aime pas », son visage révélant  la passion qu’elle prétend nier. Tentative d’explication psychologique ? La mère d’YSL aurait eu des amants ? L’enfant en aurait conçu une jalousie, un désir de venger sa mère ? (on le voit enfant fabriquer des lance-pierres). Ou alors, colère après sa mère et son infidélité : « Je ne t’aime pas habillée comme ça, tu dois être parfaite. ». Amour incestueux ? Amour immense en tout cas. La Tosca, avec Maria Callas.

A Marrakech, YSL dessine sa collection. Hallucinations de serpents. 

Loulou et Betty à l’hôpital ont peur de lui. Le démiurge fou s’est éloigné de sa création. [« Plus tu t’éloignes, plus ton ombre s’agrandit. »]

YSL vieux : « Est-ce qu’on parle de moi comme d’un has-been ? » Question légitime pour celui qui a disparu, qui a été remplacé.

« Y est seul » : drague ostentatoire du jeune homme, presque un enfant (pédophilie).

Fume comme un diable. 


Image des « Damnés » de Visconti, scène incestueuse. Helmut Berger se regarde à l’écran. Un zoom soudain  sur son visage, comme la signature du cinéaste, intentionnelle, l’inscription de cette image dans l’histoire du cinéma.

Préparation de la collection de 1976 : une opération chirurgicale d’envergure, qui opérera le remplacement d’YSL par un autre.

Lorsqu’une infirmière habille Mr Saint Laurent, c’est un nouvel homme qui apparait. Ensuite, ses médecins seront « toujours là », dans la pièce à côté (YSL a été revendu à Sanofi, laboratoire pharmaceutique), et s’il tombe (s’il meurt), il sera toujours remplacé, comme a été remplacé Moujik déjà quatre fois. Mais « Je suis le dernier » (il n’y en aura que quatre). La collection de 1976 était « peut-être une collection de peintre », mais c’était aussi la fin de sa vie (car « il faut toute une vie pour être Matisse », comme lui a dit sa mère). Le split-screen révèle cette manière particulière de tenir son paquet de cigarettes derrière son dos, qui est celle du vieil homme, qui sera celle du nouveau YSL pour le restant de son existence. Et pendant tout ce défilé de 1976, il fait semblant d’être YSL : il remet ses lunettes, dans le rôle, il est maladroit. Comme un mauvais acteur qui a pris la place d’YSL.

Toutes ses paroles ensuite sont le discours officiel, sont des éléments de langage, de la communication, sont creuses, vides. 

1976, défilé dans une galerie des glaces.  Sur chaque chaise il y a un YSL, un fantôme, un absent, un vide. 

Son grand défilé de 1976, c’est mettre un turban sur la tête des femmes, cacher leurs cheveux, les soumettre. Enfin, c’est définitivement faire disparaître la femme derrière ses apparences. Le regard du spectateur (des clientes, subjuguées) ne voit plus que la surface. Programme accompli, le monde YSL n’est plus que surface. Le regard du spectateur se trouble, il voit flou.

Le split-screen montre les robes sous toutes leurs coutures. Fusionne Mondrian et Matisse, Betty et Loulou. Toute sa vie « défile » (quand on meurt, toute notre vie défile), en même temps que sa collection. La Callas (Mme Butterfly de Puccini ou La Mamma Morta de Giordano) fait le lien entre les « deux » morts d’YSL.

Libération et ses jeux de mots : « Saint Laurent se dérobe ». Bonello « aime bien », car son film se dérobe ? « Il a participé à la transformation de son époque, se voyant comme un fabricant de bonheur… ». La fabrication : « Procédé ou manière de fabriquer quelque chose de façon industrielle. /Action de façonner les pensées ou le comportement d’une personne ou d’un groupe de personnes. »

« C’est triste, j’aimais bien moi Saint Laurent », dit Bonello. Et en effet, YSL a toujours été une victime. La victime de Bergé. On ne peut qu’être triste pour lui, pour l’enfant assassiné.

« Yves, bouge le bras pour montrer que tu  es vivant. » lui  ordonne Bergé devant les journalistes. Regard et sourire d’YSL N°2, clone, singe savant, chien docile, poupée, marionnette, puppet.

Fin.

Générique : Faithful Man de Lee Fields and the Expressions (c’est la voix d’YSL, depuis les limbes qui raconte ce que lui a fait Pierre Bergé)

“I have always been a faithful man till you came along
I have always been a faithful I have always been a faithful
Don’t you make me do wrong don’t you make me do wrong
I have always been a faithful till you came along

I was just hanging out trying to clear my mind
I saw you watching me it was plane to see
Said I am a married man said you were 23
Don’t make me do wrong don’t make me do wrong
Don’t you know let’s play the game things will never be the same
Don’t you know let’s play the game things will forever change
Don’t you know let’s play the game things will never be the same

I have always been a faithful man till you came along
I have always been a faithful I have always been a faithful
Don’t you make me do wrong don’t you make me do wrong
I have always been a faithful till you came along
We were just hanging out didn’t mean a thing
But when I started walking out something came over me

Never felt so guilty never felt so good
Don’t you make me do wrong don’t you make do wrong
Don’t you know let’s play the game things will never be the same
Don’t you know let’s play the game things will forever change
Don’t you know let’s play the game things will never be the same
I have always been a faithful man till you came along
I have always been a faithful I have always been a faithful

Don’t you make me do wrong don’t you make me do wrong
I have always been a faithful till you came along
I have always been a faithful man till you came along
I have always been a faithful I have always been a faithful
Don’t you make me do wrong don’t you make me do wrong
I have always been a faithful till you came along.”