« Les miroirs et la
copulation sont abominables, parce qu'ils multiplient le nombre des hommes. ».
J.L Borges, Histoire de l’infamie
[Attention, SPOILERS & libres associations]
Générique : le sifflement du serpent accompagne (déjà) Europe
(Europa Corp) sortant de l’eau.
Yves Saint Laurent en interview au téléphone : « Les
médecins militaires du Val de Grâce m’ont bourré de tranquillisants, au point
de m’avoir rendu dépendant. Ils m’ont fait des electro-chocs aussi. C’était
l’horreur, j’étais entouré de vrais fous. Il y en a qui voulaient me caresser
mais je ne voulais pas me laisser faire. ». Il parle des médecins
militaires du Val de Grâce (ce sont eux qui voulaient le caresser etc.).
Plan de Saint Laurent étendu dans la boue, dans un chantier. « Saint
Laurent » sur satin noir. Yves Saint Laurent est mort [ou alors c’est le
petit Yves qui est mort, l’enfant. Il ne reste que le nom, la marque]. Ce film
est une nécrologie. Sentiment qui sera confirmé par les dernières scènes du
film, avec les journalistes de Libération, dont le réalisateur, qui doivent
écrire sa nécrologie.
Début du film, dans l’atelier de couture, une chirurgienne,
ou une militaire, ou une femme croque-mort, toute habillée de blanc, prend les mensurations d’une femme, comme d’un
cadavre (comme dans un western, pour faire rentrer le corps dans un tombeau).
Les mannequins de couture sont les corps des femmes découpées.
Sans têtes. Des cadavres. Des modèles (au sens bressonien ?)
On parle des modèles avec des numéros : le 17, le 28.
Elles n’ont plus de noms, réifiées, ce sont des numéros, comme dans un camp.
Une des chefs couturière dit : « Ca tire, il y a trop
de tension dans la doublure. » Mais j’entends : « Satyre, il y a
trop de tension dans la doublure. ».
A ce moment là, « Mr Saint Laurent met sa musique », et un des
modèles sort d’une pièce adjacente, comme de derrière des rideaux. Le satyre
relâche sa victime.
On parle du vêtement, du revers, de la couture, mais en fait
on parle de la femme qui va être découpée, recousue. Mr Saint Laurent va la « refaire »,
la transformer.
Les ouvrières sont torturées. A celle-ci on enfonce, avec
une machine, une épingle dans le doigt. Plus tard, elle se mettra à pleurer.
« On se tait s’il vous plait. » Le seul homme ici
entre toutes ces femmes est le chef, comme un kapo.
La femme n’existe pas. Seul existe le mannequin, seul existe
ce qu’on va faire d’elle, en quoi on va la transformer.
Premier jeu de miroirs avec Pierre Bergé. Quand l’un est
flou, l’autre ne l’est pas, et
vice-versa. L’un cache l’autre. YSL cache Pierre Bergé. YSL est le masque, le mannequin,
le modèle, de Bergé. Bergé tire les ficelles, c'est son démon. Saint Laurent est possédé par Bergé.
On arrache les bras au mannequin. Ou bien alors sa première
peau.
On coupe, on découpe, on coud, on recoud la femme qui est
dans la pièce d’à côté. C’est une opération chirurgicale, magique.
On emmène la femme, docile, vers sa transformation, dans les
escaliers. YSL est Frankenstein (mais toutes les coutures sont apparentes sur
ses créatures).
YSL dessine comme une machine, comme un robot. Il ne
s’arrête jamais.
On apprend que cette petite armée de précision va aussi
modifier Catherine Deneuve, Françoise Hardy, Sylvie Vartan, et surtout…
Marguerite Duras. Qu’on aurait crue intouchable (d’ailleurs seul YSL se
rappelle le nom de cette victime de choix).
Un robot parle chiffres, l’autre robot dessine. Le robot qui dessine voudrait que le robot
qui parle se taise, mange une mousse au chocolat, redevienne un peu humain. Et
plus le robot qui parle continue de parler, parle de plus en plus vite, et plus
on est agacé, et plus on a envie qu’elle se taise, et d’écouter seulement la
musique, qui va aussi de plus en plus vite. A ce moment là, YSL demande :
« Vous ne voulez pas me laisser écouter la musique s’il vous plait ? ».
YSL est dans notre tête. Nous faisons corps avec lui. Son reflet dans le miroir
vient confirmer cette identification.
A la radio, une voix de femme dit : « Si on
est belle, on est heureuse. ». Pierre Bergé apporte une religieuse au
chocolat, le petit vice d’YSL. Le premier de ses vices, le seul pour l’instant.
On n’écoute plus vraiment la voix de la femme à la radio, c’est un fantôme dans
la machine.
La nuit, YSL marche dans la rue à la recherche d’un
partenaire sexuel, ou d’un micheton. Ils sont flous, il est net. Quand il
enlève ses lunettes, son visage devient soudainement flou et eux deviennent soudainement
nets. Ainsi, il devient indiscernable (Pierre Bergé se cache ?).
Dans un bar, pendant la chanson « I put a spell on
you », il jette des sorts, ensorcèle, par la parole, par le regard. Il
pose (littéralement) son visage sur celui d’une très belle femme. Aussitôt, obéissante,
elle va danser, et ses cheveux sur son visage sont comme le voile qui recouvre
une opération. Elle apparait ensuite dans le miroir, et YSL est aussi dans le
miroir. Il s’est dédoublé, il s’est cloné. C’est ainsi qu’il procède, se multiplie,
c’est son « art », sa magie (noire). C’est un démon, un incube. Il
utilise les miroirs pour posséder les corps, se démultiplier, se répandre.
Elle est libre, indépendante. Il veut la débaucher de son
employeur. « Je vous le demande ». « Je ne peux pas ». Elle
obéira, parce qu’elle est lui.
De retour à l’atelier, YSL a « envie de péter ».
Il a encore un corps, ou se moque de l’instant (« grave »), et de
cette Betty qui a fini par lui obéir.
Elle lui dit même, dans son inconscience, sa bêtise, sa vanité, lorsqu’elle
porte son vêtement, qu’il « devrait le porter lui-même, que ça lui ira
très bien ». Bien sûr, puisqu’elle est lui.
Là, ce n’est pas Andy Warhol qui parle, ce sont ces
mannequins en plastique rouge, pop. Vêtements sans visages, corps sans
personnes, les traits gommés. Ils le mettent au défi de créer, après la robe
Mondrian, la robe Andy Warhol. Une robe pour des mannequins sans visages.
YSL fume, nouveau vice. Tous ses vices ensuite seront
« oraux », liés à la bouche : nourriture, cigarette, boisson,
gélules… YSL sera toujours un enfant qui aime les sucreries, le lait maternel.
Manière de rester humain, de rester un corps, résistance à Bergé
YSL et sa succube Betty (comme sortie de l’œuf sur la
cheminée), se regardent dans les miroirs. « Bergé, je ne serai pas ton
mouton. », dit-il avec un bandeau de pirate sur l’œil (ou comment ne pas
être vu par son double ?).
Dans la boite de nuit, des corps sans têtes dansent. Betty
dit qu’ « ici aussi, on peut disparaître sans s’en apercevoir ».
Ironie de la situation : c’est justement ce qui vient de lui arriver.
A propos de Bergé, YSL dit : « C’est un monstre,
tu sais pourquoi ? Parce qu’il est laid. » Cela ne signifie pas que
c’est sa laideur qui le rend monstrueux, mais qu’elle est la conséquence
de sa monstruosité, qui est morale. Sa monstruosité est ailleurs que dans son
physique.
« Il faut que je repasse au studio pour les
finitions. » C’est elle qu’il doit finir. Elle, elle danse, tandis que les
années passent. Musique en boucle et split screen : le regard est beaucoup
plus attiré par l’infernale répétition du défilé de mannequin sur la droite,
que par les images d’actualité dramatiques sur la gauche.
Léa Seydoux (Loulou de la falaise) apparait, les cheveux
cachés par un turban. Muse, annonce le défilé de 1976.
Il peut retirer du vestiaire tous les manteaux, car ce sont
les siens. Tout le monde, ou presque (c’est le programme), est YSL.
Quand YSL, au Maroc, devant ses amis, avec un turban sur la
tête, se déguise en « Samantha, chanteuse de l’underground new-yorkais »,
il(s) se moque(nt) de ses client(e)s. Il va leur "faire mal" (chanson de Boris Vian).
« Ma prochaine collection, ce sera comme si je défilais
nu devant tout le monde ». « Yves est prêt à noyer notre
enfant. », dit Bergé. « Oui, qu’il étouffe. » répond YSL. C’est
leur programme. Ils rient. « Tu habilles toute la planète. », dit
quelqu’un. Leur enfant, c’est toute la planète. YSL est prêt à noyer toute la
planète.
Sa mère organisait des grandes fêtes, avec des « dames
qui arrivaient en fourrures : de l’astracan, du renard, et leurs
robes tellement années 40… ». [Théorie d’Adorno : ce n’est qu’à
partir du moment où les hommes ont été capables d’industrialiser la mort des
animaux qu’ils ont rendu possibles les camps de concentration.].
Bergé enferme YSL dans un placard. Il en ressort nu (comme
rené, ou cloné). Il avait prévenu : « Ma prochaine collection, ce
sera comme si je défilais nu devant tout le monde ».
YSL répond à Warhol. Même mise en scène qu’avec les mannequins
pop sans visages, sauf que là, ce ne sont que des visages, ceux des plus grandes actrices, des plus belles femmes du
monde, épinglées sur le mur, qui parlent, qui répondent à Andy Warhol. YSL n’a
plus besoin de faire la robe Andy Warhol, il l’a dépassé, il va faire la robe
Yves Saint Laurent.
Défilé : les numéros défilent. Ce sont des corps sans
têtes, ce sont des corps sans âmes, les succubes d’YSL. Les riches client(e)s,
privilégié(e)s, regardent passer ces femmes vides (ou pleines de YSL, ou toutes
surfaces), regardent leurs vêtements, bien sûr, mais c’est comme si ces femmes
vides subissaient l’humiliation d’être regardées, mais de ne pas être vues. Que
se passe-t-il dans la tête d’un mannequin qui défile ? Jusqu’où
s’abandonnera-t-elle ? Jusqu’où se soumettra-t-elle ? Je plains ces
femmes qu’YSL a vidées de leur âme. Que vont-elles devenir ? Parmi tous ces riches clientes, voilà Betty et Lou, assises elles
aussi, spectatrices du défilé. Si les succubes sont devenues clientes, c’est
donc que toutes les clientes sont d’anciennes succubes, qu’elles ont toutes été
incubées par YSL. Celles qu’on croyait privilégiées, celles qu’on croyait
dominantes, sont aussi les victimes d’YSL, et personne ici n’en a réchappé. Et
déjà, les sièges blancs côte à côte semblent dessiner la silhouette d’un
serpent.
YSL en colère, frappe contre un mur. Aussitôt, il se
retrouve enfermé (nouveau placard), tourne en rond dans une grande pièce grise
et vide. Ah non, il y a un tourne-disque, et du champagne. Et en fait, il y a
aussi Pierre Bergé qui lit le journal, et on s’aperçoit que c’est un studio de
photo. YSL prend une bouteille de parfum. YSL se met nu pour la photo. Bergé :
« Tu vas nous faire un scandale. » (je n’entends pas de reproches dans cette
assertion). YSL tient la promesse qu’il avait faite au Maroc. « Ma prochaine collection, ce
sera comme si je défilais nu devant tout le monde ».YSL n’est plus vêtu
que de son parfum. Il est l’air du temps.
Scène de négociation entre Bergé et les actionnaires
américains. Bergé défend le prêt-à-porter. Industrialisation, uniformisation,
mondialisation. La seule femme dans la pièce est confinée à sa fonction de
traduction, comme une machine. Bergé : « Les autres continuent de
vendre des robes, alors que nous, nous pouvons vendre Yves Saint
Laurent. ». « Je veux récupérer mon nom. ». Opération magique.
Sorcellerie et capitalisme. On décroche, on n’entend plus que des chiffres.
Sa mère : « Tu es Yves Saint Laurent. Il faut
toute une vie pour être Matisse. ». Et en effet, ce sera sa
« collection de peintre », celle de 1976, qui sera aussi la dernière
de sa "vie".
La prison d’YSL a changé : ce sont les loges d’un
spectacle de Zizi Jeammaire au Casino de Paris.
Puis une boite de nuit. Répétition de la scène de discothèque avec Betty ("sortilège"),
mais diluée dans l’alcool et diffractée par la drogue. Cette fois-ci, c’est avec
Jacques de Bascher (Louis Garrel), qu’ils échangent des regards à travers les
corps des danseurs, qui sont comme des miroirs (clones), ondulant en vagues (le champagne qui les traverses est comme leurs regards échangés). De Bascher, plein de
morgue, un doigt dans la bouche, est accompagné par la violence physique (une
bagarre éclate sur son passage). Annonce la suite.
Jacques de Bascher est décrit en voix off dans le plan
suivant : « C’est une fabrication française, tout est fait en France.
Vous allez me demander en quelle matière il est fait. Comme ça, à l’œil, on est
un peu émoustillé. C’est de la toile cirée. Ça ne se voit pas parce que c’est
travaillé comme du cuir. ».
La cliente jouée par Valeria Bruni Tedeschi, résistante, car
ignorante, est transformée en YSL avec un plaisir sadique. On joue avec elle,
avec sa vulnérabilité. Il l’éjecte du plan, « Vous voulez bien faire
quelques pas ? », pour rester seul devant le miroir. « Je me
sens très différente », dit-elle en regardant le reflet d’YSL dans le
miroir. Puis ajoute : « Vous êtes le seul aujourd’hui. » A
prendre à la lettre : YSL est seul avec lui-même, même quand il est avec
les autres, même face à elle. Il lui répond : « J’ai créé un monstre,
et maintenant je dois vivre avec », et il parle aussi d’elle, du monstre
qu’il vient de créer, et qu’elle est devenue sous ses mains, sous son regard. Elle,
c’est lui. « Un beau monstre » dit-elle, comme pour sauver sa peau,
un petit peu.
YSL chez Jacques de Bascher, derrière la porte verte. Garrel
joue tout le temps avec sa bouche, ses lèvres. Il s’assied sur un siège de
gynécologue (rentrer dans la femme), qui ressemble à un instrument de torture,
et qui est l’élément central de la pièce.
Dans le jardin des tuileries, le son que produisent les
hommes se glissant à travers les feuillages ressemble (déjà) au sifflement d’un
serpent. De Bascher : « Pas de noms, pas de mots. Des bêtes,
aimantées par le besoin. ». Il enlève encore ses lunettes avant de rentrer
dans le buisson. Voit flou.
Dans l’appartement : alcool, cigarette, pilules. Des
clones d’YSL répètent ses gestes mécaniquement, les coutures à même la peau (Frankenstein). Musique d’ambiance synthétique,
cuir et fourrures. Un homme nu sur la table de gynécologie. YSL ressemble à un
serpent (chemise à motifs plaquée sur la peau). Le long canapé de cuir, en arc
de cercle tout autour de la pièce, ressemble à un serpent. YSL est un démiurge
fou, maître malade de cette réalité.
YSL ouvre la porte à des militaires, vêtus de cuir, qui
rentrent dans l’appartement. Accélération de l’histoire. YSL ouvre la porte à la guerre, au
fascisme. Il se présente : « Je m’appelle Pierre Bergé. ». C’est
en effet le vrai nom de YSL, c’est toujours Pierre Bergé, qui tire les
ficelles, qui fait rentrer les policiers dans l'histoire. YSL est toujours le succube de Pierre Bergé.
Garrel-de Bascher, avec sa petite moustache années 30,
devant son miroir rococo, dit qu’il inspire Karl (Lagerfeld). C’est en fait
YSL, via son succube de Bascher, qui inspire Karl ?
-
- « On
dirait un peu un gentleman de la république de Weimar.
-
- Au moins, ils savaient s’habiller. ».
YSL/Bergé fait rentrer le fascisme, le nazisme, dans
l’histoire. Anachronisme ou répétition de l’histoire. Tous les temps coexistent
dans l’éternité. Des cock-rings en forme de serpents, Ourobouros, le serpent se
mord la queue. Cycle infernal.
Scène de repas : Bergé et les employés de Saint Laurent
ressemblent à des notables de province, pendant l’occupation. Mal habillés, conversations
sur le foie gras, sur l’Alsace, la France.
YSL donne de l’argent à une des ouvrières pour l’aider à se
faire avorter pendant son congé. Pendant le discours de Bergé, il murmure au
chef d’atelier : « Je préférerais qu’elle ne revienne pas. ».
Cette violence contredit la dernière phrase du discours de Bergé :
« Tu as toujours été là pour la femme, et tu seras encore là longtemps
pour elle ». YSL n’a jamais été là pour la femme. A la fin du
discours YSL dit : « Je suis très heureux de partager ces derniers
moments avec vous, ici. ». On imagine qu’il s’agit des derniers moments de
sa vie.
YSL fait visiter son nouvel appartement à De Bascher. Nouveau
placard, nouvelle prison : il n’y aucune fenêtre. Décoration :
« Un cobra en bronze, dressé, impressionnant », des miroirs partout
« comme dans les châteaux de Bavière ». « Peut-être un
jour, un Matisse, un Mondrian » (comme des prises de guerre).
YSL : « Ne t’approches pas du lit, tu vas te faire
mordre. Tu ne les entends pas siffler ? » (les serpents). De Bascher
est comme déconnecté, comme déjà mort. Il a été mordu. YSL est le serpent.
Bergé offre une croûte (mauvais goût français) représentant
la chambre de Proust. YSL : « Ça donne envie d’y rentrer, de
s’allonger sur le lit. ». Annonce la suite, chambre sans fenêtre, prison, tombeau.
Boite de nuit, les clones de YSL avancent au ralenti, comme
pris dans la glace. Tout est blanc. Un chanteur le visage maquillé de blanc,
chante du Klaus Nomi. Comme le diable dans la Divine Comédie de Dante, au fond
de l’enfer. De Bascher tient debout comme pendu, tenu par des fils invisibles,
la tête penchée, les yeux clos, déjà mort, zombie. [Il ressemble aux
personnages virtuels du jeu vidéo de Carpenter dans Existenz, qui se mettent « en boucle » lorsqu’on ne leur
parle pas.]
YSL voit un serpent dans son lit. Le serpent, c’est Pierre
Bergé (avec qui il partage son lit). A chaque fois qu’on a écrit YSL, on aurait
pu écrire Pierre Bergé.
MOITIE DU FILM – RETOUR
EN 1974 (traversée du miroir, mort de YSL, limbes, souvenirs
diffractés, nouveau corps de YSL, YSL remplacé)
Retour au début du film. Interview.
Bergé : « Ce
n’est pas Yves Saint Laurent qui a fait cette interview, c’est quelqu’un qui se
fait passer pour lui. ». C’est-à-dire que ce n’est pas lui, Pierre
Bergé, qui a fait cette interview.
YSL dessine avec difficulté, souffrance (fait penser à la petite ouvrière torturée au début du film).
De Bascher lit « Rose Poussière » de Jean-Jacques
Schuhl (l’écriture-couture, Frankenstein-le-dandy). Fist-fucking + Jacques
Brel. Acide. Discours vides,
accélération de la violence. Décadence. Bêtise mortifère. Vide dangereux. S’embrassent
en partageant une gélule. Cigarette, alcool, baisers. Le chien mange les
pilules. Le canapé en cuir comme un grand serpent. De la fourrure partout (astracan, renard). YSL
tombe sur des tessons de bouteille. Le chien tombe aussi, meurt. YSL meurt
comme un chien.
Bergé rentre de force chez De Bascher. Plan suivant, YSL va
poser une couronne sur la tombe, non pas de De Bascher, mais de son chien
Moujik. C’est pourtant bien De Bascher qui est mort dans le film, tué par
Bergé. Mais aussi YSL. Il porte une couronne sur sa propre tombe.
YSL erre dans son appartement, tombeau, mausolée.
Le chien de retour dans les couloirs, comme un fantôme de De
Bascher, un fantôme d’YSL. Puis, plein de chiens semblables courent et
forniquent dans les couloirs, comme tous les clones d’YSL, de De Bascher, comme
tous les clients d’YSL, qui sont des chiens, des clones, qui sont des fantômes.
On expérimente, en remplaçant le chien
mort par un autre. Bientôt, on remplacera YSL par un autre [comme on a remplacé
Paul McCartney par un sosie, dit-on].
Les ouvrières vont pointer, comme dans n'importe quelle usine. Bergé négocie avec les
américains pour le parfum Opium. Opium du peuple. Sorcellerie et capitalisme.
Miroir dans l’atelier. Miroir dans l’appartement de De Bascher.
Quand il met sa cravate, c’est comme si on lui mettait une laisse.
Lettre à De Bascher, en voix off : « J’aime les
corps sans âmes, parce que l’âme, elle est ailleurs. ». Envoie une
ouvrière poster la lettre, comme s’il était enfermé : « Vous ne
m’avez pas vu, ce n’était pas moi. Je ne suis plus là. ». L’âme de Saint
Laurent est ailleurs, il n’est plus là, il est déjà dans les limbes.
Les deux filles dans la rue : « C’est peut-être
juste un parfum maintenant. ». « Son chien est mort. [De Bascher]
Overdose. » « He’s dead ».
Scène hallucinante avec des légionnaires qui chantent. Un
légionnaire marche dans un couloir, comme un défilé. Tous les défilés sont
militaires. La mode est une fabrication d’uniformes. Programme de Bergé
accompli, uniformisation du monde en YSL, fascisme capitaliste. Saint Laurent est mort.
Bergé va chercher le cadavre d’YSL dans un chantier. Le ramène chez lui. On
dirait un intérieur bourgeois dans un film de Chabrol, avec une grosse croix chrétienne
sur le mur, comme un tombeau, l’intérieur d’un cercueil. Pas de fenêtres.
Taille-crayon, épilation, rouge à lèvre. Maquillage comme
une torture. « Je n’en peux plus de me voir. » dit-il, lançant un
regard à Bergé. De voir des YSL partout, des succubes, des clones, des
fantômes.
Travelling sur le chien cloné, la sculpture de serpent. YSL
est désormais joué par Helmut Berger. Le corps a changé. YSL a été remplacé.
« Alors c’est parti. Pour la couleur de
Johnny. » dit le coiffeur. C’est le « parti » qui est important.
« YSL est parti, pour la couleur de Johnny. », remplacé par la
couleur de Johnny.
Retour en 1976. YSL est enfermé chez lui. Des cadenas aux
fenêtres. C’est la dernière fois qu’on le voit vraiment. YSL à jamais enfermé
dans la petite chambre de Swan, le tableau, la croûte, fin infernale. Il a
essayé de tuer Bergé avec un marbre antique. Il sera à jamais dans les limbes
(temps diffracté, souvenirs). Ses clones continueront mécaniquement le travail.
Souvenirs de sa mère. Extrait de « Madame de… » de
Max Ophüls. Danielle Darieux, la joue appuyée contre une porte qui se referme,
répète à l’homme qui s’en va « Je ne vous aime pas, je ne vous aime
pas », son visage révélant la passion qu’elle prétend nier. Tentative
d’explication psychologique ? La mère d’YSL aurait eu des amants ?
L’enfant en aurait conçu une jalousie, un désir de venger sa mère ? (on le
voit enfant fabriquer des lance-pierres). Ou alors, colère après sa mère et son
infidélité : « Je ne t’aime pas habillée comme ça, tu dois être
parfaite. ». Amour incestueux ? Amour immense en tout cas. La Tosca, avec Maria Callas.
A Marrakech, YSL dessine sa collection. Hallucinations de
serpents.
Loulou et Betty à l’hôpital ont peur de lui. Le démiurge fou
s’est éloigné de sa création. [« Plus tu t’éloignes, plus ton ombre
s’agrandit. »]
YSL vieux : « Est-ce qu’on parle de moi comme d’un
has-been ? » Question légitime pour celui qui a disparu, qui a été
remplacé.
« Y est seul » : drague ostentatoire du jeune
homme, presque un enfant (pédophilie).
Fume comme un diable.
Image des « Damnés » de Visconti, scène
incestueuse. Helmut Berger se regarde à l’écran. Un zoom soudain sur son visage, comme la signature du cinéaste,
intentionnelle, l’inscription de cette image dans l’histoire du cinéma.
Préparation de la collection de 1976 : une opération
chirurgicale d’envergure, qui opérera le remplacement d’YSL par un autre.
Lorsqu’une infirmière habille Mr Saint Laurent, c’est un
nouvel homme qui apparait. Ensuite, ses médecins seront « toujours là »,
dans la pièce à côté (YSL a été revendu à Sanofi, laboratoire pharmaceutique), et
s’il tombe (s’il meurt), il sera toujours remplacé, comme a été remplacé Moujik
déjà quatre fois. Mais « Je suis le dernier » (il n’y en aura que
quatre). La collection de 1976 était « peut-être une collection de
peintre », mais c’était aussi la fin de sa vie (car « il faut toute
une vie pour être Matisse », comme lui a dit sa mère). Le split-screen
révèle cette manière particulière de tenir son paquet de cigarettes derrière
son dos, qui est celle du vieil homme, qui sera celle du nouveau YSL pour le
restant de son existence. Et pendant tout ce défilé de 1976, il fait semblant
d’être YSL : il remet ses lunettes, dans le rôle, il est
maladroit. Comme un mauvais acteur qui a pris la
place d’YSL.
Toutes ses paroles ensuite sont le discours officiel, sont
des éléments de langage, de la communication, sont creuses, vides.
1976, défilé dans une galerie des glaces. Sur chaque chaise il y a un YSL, un fantôme,
un absent, un vide.
Son grand défilé de 1976, c’est mettre un turban sur la tête
des femmes, cacher leurs cheveux, les soumettre. Enfin, c’est définitivement
faire disparaître la femme derrière ses apparences. Le regard du spectateur
(des clientes, subjuguées) ne voit plus que la surface. Programme accompli, le
monde YSL n’est plus que surface. Le regard du spectateur se trouble, il voit
flou.
Le split-screen montre les robes sous toutes leurs coutures. Fusionne Mondrian et Matisse, Betty et Loulou. Toute sa vie « défile » (quand on meurt,
toute notre vie défile), en même temps que sa collection. La Callas (Mme
Butterfly de Puccini ou La Mamma Morta de Giordano) fait le lien entre les
« deux » morts d’YSL.
Libération et ses jeux de mots : « Saint Laurent
se dérobe ». Bonello « aime bien », car son film se
dérobe ? « Il a participé à la transformation de son époque, se
voyant comme un fabricant de bonheur… ». La fabrication : « Procédé
ou manière de fabriquer quelque chose de façon industrielle. /Action de
façonner les pensées ou le comportement d’une personne ou d’un groupe de
personnes. »
« C’est triste, j’aimais bien moi Saint Laurent »,
dit Bonello. Et en effet, YSL a toujours été une victime. La victime de Bergé.
On ne peut qu’être triste pour lui, pour l’enfant assassiné.
« Yves, bouge le bras pour montrer que tu es vivant. » lui ordonne Bergé devant les journalistes. Regard et
sourire d’YSL N°2, clone, singe savant, chien docile, poupée, marionnette, puppet.
Fin.
Générique : Faithful
Man de Lee Fields and the Expressions (c’est la voix d’YSL, depuis les
limbes qui raconte ce que lui a fait Pierre Bergé)
“I have
always been a faithful man till you came along
I have
always been a faithful I have always been a faithful
Don’t
you make me do wrong don’t you make me do wrong
I have
always been a faithful till you came along
I was
just hanging out trying to clear my mind
I saw
you watching me it was plane to see
Said I
am a married man said you were 23
Don’t
make me do wrong don’t make me do wrong
Don’t
you know let’s play the game things will never be the same
Don’t
you know let’s play the game things will forever change
Don’t
you know let’s play the game things will never be the same
I have
always been a faithful man till you came along
I have
always been a faithful I have always been a faithful
Don’t
you make me do wrong don’t you make me do wrong
I have
always been a faithful till you came along
We were
just hanging out didn’t mean a thing
But when
I started walking out something came over me
Never
felt so guilty never felt so good
Don’t
you make me do wrong don’t you make do wrong
Don’t
you know let’s play the game things will never be the same
Don’t
you know let’s play the game things will forever change
Don’t
you know let’s play the game things will never be the same
I have
always been a faithful man till you came along
I have
always been a faithful I have always been a faithful
Don’t
you make me do wrong don’t you make me do wrong
I have
always been a faithful till you came along
I have
always been a faithful man till you came along
I have
always been a faithful I have always been a faithful
Don’t
you make me do wrong don’t you make me do wrong
I have
always been a faithful till you came along.”
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