vendredi

Miossec, tout baigne.





 Christophe Miossec, chanteur à boire, baiser, brûler, devenu sobre (mis au sec, on ose le jeu de mot) et presque vieux sage, sort un nouvel album, Ici bas, Ici même, apaisé mais pas moins brûlant, entre protest et love song.  

 J'ai fait un portrait de Miossec dans le dernier Trois Couleurs, p.79 du PDF ici : http://issuu.com/troiscouleurs/docs/120-web-simple












Et voici quelques chutes d’interview non publiées :

« Il faut lire Eric Chevillard. Il a fait 19 bouquins. On a exactement le même âge.  Il a publié Mourir m’enrhume aux éditions de Minuit, quand il avait 21 ans. Moi j’avais 21 ans aussi, et à l’époque, j’avais arrêté la musique pour commencer la littérature. De lire Chevillard aux éditions de Minuit,  aux côtés de Toussaint, Echenoz, et de manière tellement virtuose, ça a mis un coup d’arrêt à mes velléités d’écrivain. Publier un livre, c’est un acte grave. La rentrée littéraire, avec 600 bouquins, c’est n’importe quoi. Déjà, si les critiques littéraires écrivaient mieux…

Les bouquins d’Henri Calet sont jonchés de petites chansons populaires. C’était un écrivain du 14ème… arrondissement. Qui est mort un 14 juillet en plus. Il faut lire Monsieur Paul. Il y a des écrivains qui citent d’autres auteurs, ou des aphorismes, mais lui cite des chansonnettes. 

J’ai gagné ma croûte dans l’écriture entre 20 et 30 balais, jusqu’à me retrouver chez Gallimard un jour.  Sur ma feuille de paie, il y avait écrit « rédacteur spécialisé », une sorte de nègre, ou de créole. Dans Ouest France, j’étais beaucoup influencé par des gens comme Philippe Garnier. J’étais à Brest, je connaissais vraiment bien la ville, et je faisais des articles sur les bars à putes, les baraques à frites… C’était assez intellectualisé : je voulais faire apparaître dans le journal tous ceux qui n’y apparaissaient que par le biais des faits divers. Quand on navigue la nuit, on récolte des sommes d’informations qui permettent de faire du journalisme politique finalement. Je me suis fait remarquer comme ça et Ouest France m’ont proposé de m’occuper de la musique, à l’époque où les disques avaient de la valeur.

L’utilisation du « On » dans mes chansons, c’était pour lutter contre le « je ». Quand j’étais en primaire, mon instit’ disait « Le on est un con ». Il ne fallait pas utiliser le On. C’était une sorte de fa dièse, de mot du diable, interdit. J’avais envie de changer d’angle. Généralement, la chanson française utilise le « je ». »




jeudi

"Her", de Spike Jonze

 
Entre "Un bonheur insoutenable" et "Paradis pour tous", il me semble que c'est justement le décor, cette douceur cotonneuse de paradis bobo, qui fait toute la force du film. Cette omniprésence de la technologie la plus lisse, des tissus les plus doux, des roses bonbons et des verts pomme, de la transparence absolue (les façades des immeubles, la connexion permanente), bref ce monde d'anticipation assumé et apaisé, où tout le "négatif" (celui qui fait peur à l'Occident) semble avoir été évacué, justifie à mon avis l'histoire (et la régression, la solitude, la douceur) plutôt qu'il ne la "meuble". J'ai trouvé ça extrêmement effrayant, car on sent la violence qui couve partout. La femme qui veut être frappée avec la queue d'un chat pendant la scène de sex-phone, ou certaines phrases apparemment anodines dans les conversations, du genre : "J'ai envie de tuer tout le monde" (quand son inconscient écrit une lettre à sa place), "Je suis un dinosaure et je vais te dévorer (au restaurant avec la fille, de mémoire), "Eclate-moi la tête sur le coin de la table, si je te mens" (de mémoire), me semblent être autant de symptômes dans le langage de cette violence refoulée. Le hibou qui vient depuis un écran géant enserrer Joaquin Phoenix dans la rue est aussi un signe de la potentielle dangerosité du décor (que le principal intéressé ne voit pas, et pour cause, le danger est toujours derrière lui). Je pense que Spike Jonze a conscience de la possibilité de cette violence dans son scénario, et qu'il en joue comme d'un ressort (un suspens). En tout cas, je l'ai perçu comme ça. Il y aurait plusieurs autres films à faire dans ce décor, qui me semble n'avoir jamais été posé dans un film de manière aussi subtile...

vendredi

Metronomy - Love Letters





SMS qui ne partira jamais, lettre d’amour sans retour, ou de rupture amoureuse, toutes les chansons de Joseph Mount semblent ici relever de l’épistolaire, moins Liaisons Dangereuses qu’ultra-moderne solitude, lettres restées mortes dans l’espace ou personne ne l’entend pleurer. Ce nouveau spleen parisiano-londonien, au romantisme low-tempo (la plupart des chansons sont des balades), minimalisme low-tech (boites à rythmes sourdes, guitares décharnées), entre art de la fugue (clavecin tempéré sur Monstrous) et balades Bowie-esques (voix haute et fragile), ressemble au squelette d’une superproduction soul à imaginer, se lovant dans l’absence et le silence comme dans l’attente de l’appel amoureux (Call me), qui viendra remplir le vide. Si s’égaie le morceau-titre, envolée Motown et basse McCartney, et des instrumentaux qui ravivent la flamme dissonante des anciennes boites à musique freak, ces missives émotives sont autant de flèches qui  percent le cœur, attendant une oreille à embrasser.

Chronique parue (plus ou moins en l'état) dans Trois Couleurs #119
http://issuu.com/troiscouleurs

mercredi

True Detective + Her + The Congress














St Vincent - Ambivalence




Le quatrième album de la chanteuse américaine StVincent devrait enfin la révéler à un public français qui tarde à suivre l’enthousiasme outre-atlantique. Entre pop à tiroirs et rock de chambre, la musique de St Vincent, virtuose mais toujours accessible, est la plus intrigantes des musiques populaires d’aujourd’hui. 

« Je voulais faire un album festif que l'on pourrait passer à un enterrement. » : Annie Clark, jeune (32 ans) chanteuse américaine (résidente à Brooklyn), œuvrant depuis 2007 sous le pseudonyme de St Vincent,  sort un nouvel album portant le nom de sa créatrice, qui affirme ainsi avoir trouvé sa voix, sa voie, son style, son identité d’artiste musicienne, singulière entre toutes. Cette pop à la fois douce et violente, explosive et contenue, rose épineuse picorant du côté de Prince (basslines maousses et  heavy drumkit), Captain Beefheart (structures tordues et blues acharné) ou Zappa (érudition et expérimentations), devient parfois « rock de chambre » (la guitariste virtuose jouant aussi de mille pédales d’effets) ou pop mainstream (mélodies têtues, entêtantes), quelque part entre Beck et Kate Bush. St Vincent ne doute jamais de l’intelligence de son auditeur, avec des textes polysémiques, à tiroirs, étages et tirettes, oscillant sans cesse entre joie et folie, terreur et pitié, compassion et cruauté. Ambivalente, St Vincent chante de sa voix tantôt haute et claire, tantôt grave et lourde, comme autant de personnages tragiques, des histoires singulière ou universelles, schizophrènes ou mystiques, où chaque chose peut être son contraire, et vice-versa. Ainsi, sur l’éponyme dernier, une  « naissance à l’envers » (Birth in reverse), une déclaration d’amour ambigüe (« I Prefer Your Love to Jesus ») ou la déambulation urbaine d’une psychopathe (Psychopath) racontent St Vincent autant que sa rencontre, nue dans le désert, avec un serpent à sonnettes (Rattlesnake) : seule au monde, tout le monde, avec tout le monde. 

Morceaux choisis d'une récente interview réalisée pour Chro #5 (la dernière question et l'encadré final n'ont pas été publiés)


Hier j’interviewais le groupe St Michel, et aujourd’hui je rencontre St Vincent, c’est la semaine des saints pour moi… D’où vient ce nom, St Vincent ?

C’est le nom de l’hôpital où est mort le poète Dylan Thomas, en 1953. Je l’ai entendu dans la chanson de Nick Cave, There She Goes my Beautiful World. J’aimais l’idée de se réinventer soi-même : vous pouvez être tout ce que vous voulez, et si vous voulez être un saint, alors allez-y. 

Vous avez aussi dit que c’était l’hôpital où « venait mourir la poésie ».

Oh, c’était une mauvaise plaisanterie !

J’entends votre musique comme de la pop psychologique. Comme si vous réfléchissiez consciemment à l’effet qu’elle peut produire sur l’auditeur. Y-a-t-il  une part de manipulation de l’auditeur dans vos compositions ?

Par le passé, j’intellectualisais beaucoup ce que je faisais, de manière à pouvoir expliquer comment la lumière et l’obscurité pouvait être réunies, dans le même emballage. Mais ça sort juste naturellement. Ce qui a toujours été intéressant pour moi, c’est de faire de la musique pop et accessible, mais avec des bords, des franges lunatiques. De faire coexister ces deux aspects. C’est ce qu’on fait tous mes héros : David Bowie, David Byrne, Nick Drake… Ils ont essayé de pousser au-delà les limites la pop-music.



Vos chansons sont en effet souvent ambivalentes. Elles me font penser à cette définition de la tragédie comme un mélange « de terreur et de pitié ».

Plus je fais de la musique et plus ça devient mystérieux pour moi. En général pourtant, c’est le contraire qui se produit. Scientifiquement, on devrait pouvoir dire que plus on fait quelque chose, plus on est capable d’en connaître les résultats. Je trouve la musique mercurielle de cette manière. Je ne peux pas prédire ce qu’elle va devenir. Je ne m’intéresse pas à une idée romantique de ce que sont les gens, mais à la réalité contemporaine, aux nouvelles réponses concernant les gens, comment nous sommes incessamment en conflit, comment la  beauté peut coexister avec le banal, la misère avec la splendeur. La nature humaine est un grand sujet que j’aime explorer avec un certain point de vue, qui est le mien, mais aussi, parfois, celui d’un personnage, d’un narrateur, qui est lui-même imparfait.

Mais peut-être que la perfection se tient dans cette ambivalence, non ? Cette présence constante d’opposés ? 

Il y a toujours un équilibre qui est frappant. Je ne sais pas si cet équilibre peut être considéré comme une perfection. Et la perfection en musique est sans doute un peu… ennuyeuse. 

Vos chansons me font penser à ce texte gnostique, Le Tonnerre, Intellect Parfait, qui fait parler une sorte de déesse, qui pourrait aussi être le Saint Esprit, se définissant de manière ambivalente : "Je suis compatissante et je suis impitoyable", "Je suis sotte, et je suis sage", "C'est moi la permanence et la dispersion"...

En effet, je crois que j'aurais pu écrire ces phrases...


L’ambivalence (encadré non publié)

 « C'est le psychiatre suisse Eugen Bleuler (1857-1939) qui a introduit ce terme et en a fait le symptôme dominant dans le tableau de la schizophrénie. Il distingue tout d'abord l'ambivalence dans trois secteurs de la vie psychique : dans les modalités de la volonté, deux volontés qui s'opposent ; dans la sphère intellectuelle, affirmation d'une thèse et de son contraire dans un même discours ; dans la sphère affective, aimer et haïr simultanément la même personne. Un peu plus tard, cette distinction s'efface pour ne garder que la manifestation dans ce troisième cas, sphère affective de la vie psychique. Par conséquent, l'ambivalence désigne la coexistence d'attitudes affectives opposées vis-à-vis d'un objet, et le plus souvent la coexistence de l'amour et de la haine pour une même personne (…) » (Encyclopedia Universalis, article de Sylvie Metais)