Les amis, on les voit rarement, plutôt par
"accident", ou alors, au bon moment. Sinon, ils évitent de nous
croiser, pour ne pas avoir ces choses désagréables à nous dire, ces "Que
deviens-tu ?" accusateurs. Et lorsqu'on les croise, lorsqu'il n'y a
malheureusement plus que le hasard, et que l'on s'étonne d'être là à un moment
si peu opportun, on se questionne du regard et on n'a pas beaucoup de réponses,
sinon des couperets d'évidences.
Tous mes amis font la gueule, c’est à cela que je
les reconnais. « Pourquoi l’amitié à un infidèle ? » aboient-ils
en chœur, blessures guérisseuses. Qu’ils me maltraitent. Mais qu’ils me
traitent. Suis-je lâche. Mais aimant. Prenez-moi par la main comme un petit
enfant, et menez-moi, confiant, vers l’obstacle. "Devant l’obstacle, on se
révèle." Les voici que je fais surgir comme d’un désert. Multipliez croche-pieds
et petits pains. Et que je me mange moi-même. J’aurais été prévenu. Et
procureur. Et mon propre avocat. M’aidant, car le ciel est sans secours. Me
disculpant, car ayant tu tout autre. M’accusant, l’index tendu suicidaire,
pistolet d’un enfant. Si je me menace, me sauverez-vous ? Je sors dans la
rue, le doigt me renseignant. Suivez la flèche.
Elle ne va pas bien vite. Il n’y a pas grand-mal, facile pour vous qui
avez filé vers d’autres cieux, il y a déjà bien longtemps. Moi, marchant sur
mes propres traces terrestres, je ne m’y retrouve plus. Je suis perdu, et sans
personne, que le sommeil repu et les songes de faiblesse. Des figures horribles
remplacent le jour. Je sursaute puis me confie à elles, fatigué. Nourrices
tordues, violeuses d’enfants, elles me pincent la joue mais même cela ne me
réveille pas. Je préfère un sommeil douloureux dont je n’aurai aucun souvenir.
Je me laisse tomber. Il fait noir, ou gris. Personne même ne chuchote. Et la lune,
grande lanterne silencieuse, qui regarde tout ça de très loin, inamovible.
Est-ce que je vais me réveiller ? Non. Le silence égrène son éternité. La
nuit dure et les derniers se lassent, se tournent les pouces ou s’endorment à
leur tour, ronflent dans le couloir la tête contre le mur. C’est aussi de ma
faute, leur sommeil. Gardiens endormis, je vous déteste. Ou alors, dormez, je
le veux. Et toutes mes pires volontés sont exaucées. Les dernières, mais
toujours les dernières. Allez, un dernier verre !
Je me réveille sur un banc. Celui de l’infamie. Il
est en bois, comme la croix, au milieu des arbres du jardin du Luxembourg, un
pays que je ne visiterai jamais. Mon pays c’est Paris, dis-je bêtement aux feuilles, pas loin des ruches. J’écris
sur un arbre. « Je veux quelqu’un pour jouer à ces jeux avec moi », en buvant un café, noir, que la buvette matinale dispose aux
joueurs de boules. Cette fille apparait, qui fait les cent pas, prend un café
en fredonnant, s’assied puis repart. Ma camarade de jeu que je n’ose
aborder ? "Ferme les yeux et dis un mot, n’importe lequel." Elle revient s’asseoir, cheveux noirs courts,
musique dans les oreilles sous les cheveux, une chansonnette sort de sa bouche
tandis qu’elle renverse avec application son café par terre, à ses pieds. On a
brûlé les archives ? Elle repart,
et devient l’arbre derrière lequel elle se cache. La forêt ? Chacun est un
arbre, les joueurs de boules, les enfants, les touristes qui parlent des
langues étranges, reposantes. Elle a renversé son café pour arroser la terre au
pied de son arbre. Elle s’est donné à boire, et repart fredonnant hanter le
jardin, définitivement. Sur mon banc, devant un parterre de chaises vides, que
j’imagine remplies d’autres fantômes, j’écoute crier les enfants derrière leurs
barrières, me lève, quitte le jardin. J’attendais un corbeau, il n’y avait que
des abeilles.
"Le mal au cœur me met au cœur du mal",
m'a dit un jour mon amie Anne.
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